1866 - Les lavandières de Meuvaines "papotent" sur l'incendie de Crépon (près de Creully).

 


Jeannette : Dites donc, mes filles, vous avez entendu parler de ce qui s’est passé dimanche soir à Crépon ? Un fichu incendie, qu’y paraît !

Clémence : Oh que oui ! Huit heures à peine sonnaient que déjà la grange du sieur Basley flambait comme une torche. Et lui, c’est pas n’importe qui, hein, c’est le charpentier du village !

Margot : Basley ? Sa grange ? Misère… Et c’est tout ce foin pour le boulanger Lécoiant qu’a pris feu ensuite, non ?

Jeannette : Exactement ! Y paraît qu’y avait pas moins de cinq mille bourrées là-dedans ! De quoi nourrir un four à pain pour un an. Le feu, lui, n’a pas attendu. Ça s’est mis à crépiter et à lécher les murs en un rien de temps !

Clémence : Heureusement qu’y avait pas un souffle de vent ce soir-là. Autrement, tout le village y passait ! Tu sais bien, la grange, elle est en plein cœur du bourg…

Margot : Ah ça, j’te le fais pas dire ! Et les secours ? Ils sont arrivés à temps ?

Jeannette : Oh oui ! Les gendarmes, les pompiers de Creully, et même les pompes de Ver et de Graye sont venues. Ils ont lutté ferme jusqu’à trois heures du matin pour maîtriser la bête.

Clémence : Et les élèves du séminaire de Villiers le Sec, t’en parles ? Ils sont venus en courant, guidés par leurs supérieurs. Des vrais braves, je te jure ! Ils ont formé la chaîne pour amener l’eau, vu qu’elle était pas tout près.

Margot : Eh ben, on les a vus, oui. Avec leurs soutanes retroussées et les seaux à bout de bras. Même M. le curé et M. le maire étaient là, à mouiller la chemise !

Jeannette : Et M. Le Moutier, le notaire ! Toujours à encourager les gens, celui-là. Tout le monde a mis la main à la pâte. Pas un pour se défiler.

Clémence : Au moins, une partie des pertes est assurée, qu’on dit. Mais bon, ça console pas tout, hein.

Margot : On raconte que ce serait dû à une imprudence... Tu parles d’un malheur ! Ce matin, les gens de la justice de Bayeux sont venus voir sur place pour comprendre ce qui s’est vraiment passé.

Jeannette : Faut espérer qu’ils trouvent. Parce qu’un incendie pareil, ça laisse pas que des cendres... ça laisse aussi des soupçons.