Le maître bâtisseur, maçon d'Amblie (près de Creully) et le dôme de l'église de Valognes.

 

L’église de Saint-Malo de Valognes ne devait pas son mérite à l’unité de son style, mais plutôt à l’empreinte laissée par plusieurs générations de maîtres d’œuvre, qui se sont succédé du XVe au XVIe siècle. Témoignage de leur talent, le dôme ou tour-lanterne, édifié entre 1607 et 1612 sur la tour érigée à la croisée du transept, illustre le dévouement et la générosité des habitants de Valognes. Malgré les ruines et les ravages subis par leur ville en 1944, comme dans toute la Basse-Normandie, ils n’avaient pas renoncé à leur patrimoine. 

Ce dôme est aussi l’héritage d’un architecte longtemps resté dans l’ombre, dont le nom a été révélé grâce à des documents récemment offerts aux archives de la Manche par Louis Foisil :
Richard Gobey, maître bâtisseur et maçon de la paroisse d'Amblie, près de Creully.


Les archives confirment que la conception et l’exécution essentielle de l’ouvrage reviennent à Richard Gobey. Toutefois, son œuvre fut étroitement liée à celle de Robert Gourrault, trésorier de l’église, dont le nom demeure attaché au dôme, parfois surnommé « tour Gourrault ». Gourrault, qui semble avoir agi en tant que surveillant des travaux en l’absence de Gobey, dut faire appel à la générosité des paroissiens afin d’obtenir des fonds supplémentaires, indispensables à la poursuite du chantier.

Lorsqu’en 1607, les paroissiens conclurent un accord avec Gobey, un acte fut rédigé pour en formaliser les termes. Ce devis, cependant, témoigne d’une rédaction maladroite : soit que le maître maçon, peu lettré, ait eu du mal à exprimer sa pensée, soit que le notaire, ignorant des termes architecturaux, en ait mal transcrit les explications.

La pierre d’Orival, embar­quée au port de Bernières et amenée par mer à Quinéville, n’exigea pas moins de « soixante voitures de harnois » pour être transportée à pied d’œuvre.


LE DEVIS  

(J'ai recopié ce texte sans en modifier l'orthographe de l'époque.)

 " L'an mil six cent sept le treiziesme jour de mars à Vallongnes, furent présents :
Les sieurs ofliciers du Roy, nobles bourgeois et habitans  de Vallongnes, savoir nobles hommes Mr Jacques Poerier...........
 Lesquels pour eux et aultres dudit lieu ont fait marché, accord et attachernent avec Mr Richard Gobey, maistre  masson, de la paroisse d'Aomblye, viconté de Caen,
Par lequel ledit Gobey a promit et s’est obligé, par le  corps, faire bastir et rendu prest et parlait dans le jour et  feste de Toussaint prochain venant, sur la tour lanterne de  l'église dudit lieu un dosme en forme d'impérialle de  carreau, sellon et suyvant le dessain et figure de ce baillée  el signée par ledit Gobey, lequel dosme sera conduit et  élevé à Ia hauteur du coq de la tour de l'horloge de Ia  forme et faceon réduite à huit pans égaulx sur ladite  lanterne et à chacun pan une fenestre  de vingt pouces de laize, de haulteur qu’elle ne pourront estendre soubz le cordon et corniche de de dessus, faisant ceinture à l’entour  dudit dosme avec un pilastre représenté au pied droit de  chacun costey desdites fenestres de six pouces de face et  trois pouces de saillie hors la ligne des esselles, qui sera de huit pouce d'épaisseur, à Ia hauteur de dix pieds de pied- droit soubz ladite corniche avecq les frises au-dessus d'icelle  corniche soubz les petites piramides  et amortissemens  représentez avec leurs crestes sur chacune desdites fenestres, et sera chacune assise dudit dosme d'épaisseur de six  poulces par un lit et de sept poulces par l'aultre — et sur  chacun coing et carré un ourlet portant ses crestes avec l'admortissement du hault, le tout du carreau prins es « carrières d'Orival, Vallongnes et Yvetot, ainsy que ledit Gobey verra bon;  — ci faisant face et parement par dedens et dehors; — et sera tout ledit edifice passonné avec cyment de bricques et vives chaux;  — et oultre sera tenu fournir une ceinture en barres de fer attachées et coullées avec le plomb allentour du piedestal dudit dosme avec une aultre ceinture de plomb coullée et engravée dedans l'une desdites assises de carreau viron à la hauteur de la moitié du dit dosme.
 
 Pour faire lequel ouvrage, ledit Gobay sera tenu fournir  à ses frais de tous les matériaux, tailles, services et instrumentz, choses nécessaires et requises tant pour la conduite et perfection dudit ouvrage que pour le service sans en rien y convoquer ny appeler lesdits sieurs officiers, fors et réservé le nombre de six chartées de perches de bois pour luy aider à faire ses piliers et deux chartées de gros boys de haestre pour ses ceintres que lesdits sieurs luy feront mettre à place et luy fourniront le charroy de soixante chartées de carreau prins du havre de Quinéville du nombre des careeaux par luy rendus audit havre et prins à Bernières.
 
Et fut ledit marché et attaschement fait pour le prix et somme de quinze cent livres tournois pour principal et cent livres tournois pour vin, lequel vin lui sera payé par  advance et le reste en travaillant tant à l'assemblement et  achapt de ses matériaux que aultremenl, et après lesdits matériaux assembler, sera payé par sepmaine eu travaillant  audit ouvrage.
Signent :
 Poerior — Dumonslior — Lucas — Dumouchel —  Le Febvre — De Viray — Jobart — Jacques Jallot — •i G. Le Febvre — J. Le Febvre — Gires — Delangle —  Le Verrier — Gobey — Le lBret — Frolland — De Touraine  — Poisson — Ogier — Prevastel — Tourneboys —  P. Mouchel — Pridechien — Denis — Denis —  Marie —  Llaisney — Le Maistre et Hourdon, varaffées."

Le 30 août 1607, Richard Gobey apposa son seing sur l’acte de marché, attestant ainsi avoir reçu de Robert Gourrault, avocat et trésorier de l’église, un premier versement de 560 livres sur la somme convenue. Les travaux avancèrent avec vigueur durant un an. 

Entre le 11 novembre 1607 et le 8 septembre 1608, Gourrault déboursa encore 644 livres pour rémunérer les carriers d’Yvetot, les mariniers acheminant la pierre du Bessin jusqu’à Quinéville, les charretiers la transportant jusqu’à Valognes, ainsi que les ouvriers la mettant en œuvre. À ces dépenses s’ajoutaient les 500 livres versées en 1607, portant le total à 1204 livres, somme presque entièrement absorbée, alors que le chantier était encore loin d’être achevé.

À l’été 1608, Gobey quitta Valognes pour se consacrer à une autre construction à Notre-Dame de Saint-Lô. Confronté à des pertes financières, il refusa de poursuivre les travaux. Les paroissiens, outrés, mandatèrent Gourrault pour l’obliger à honorer ses engagements, n’hésitant pas à envisager la saisie de ses biens et même son emprisonnement. Acculé, Gobey céda et accepta de revenir à Valognes. Sensibles à sa détresse, les habitants firent preuve de clémence et lui promirent un complément de 300 livres. Toutefois, cette aide se révéla insuffisante, et l’année suivante, Gobey se retrouva une nouvelle fois sans ressources.

Dans une requête poignante, il exposa son infortune : son logis d’Amblie avait été pillé, ses biens volés, et il risquait d’être contraint de vendre sa dernière maison et d’envoyer sa famille mendier. 

Creully, Amblie et Bernières sur une carte du littoral de la Manche (1678).

Il ne réclamait aucun salaire pour lui-même, se contentant de l’hospitalité d’un paroissien charitable jusqu’à la Toussaint, mais suppliait que ses ouvriers soient payés. Touchés par son désespoir, les habitants acceptèrent de verser 200 livres, à condition qu’il ajoute, au sommet de l’édifice, huit fenêtres avec les moulures et amortissements nécessaires pour accueillir l’horloge du lieu.

Le 9 novembre 1611, Gourrault présenta les comptes : il apparut que Gobey avait perçu 2100 livres pour lui, ses ouvriers et les matériaux, sans en tirer aucun profit. Le trésorier fut alors chargé d’acquérir quelques charretées de pierre afin de finaliser les derniers éléments de maçonnerie. Privé de tout nouvel apport financier, Gobey abandonna une fois de plus le chantier. Pourtant, loin de lui en vouloir, les habitants réalisèrent qu’il avait été victime d’un marché désavantageux.

Fiers de leur dôme, ils continuèrent cependant à lui faire confiance et, le 15 décembre 1612, lui confièrent une nouvelle tâche : la reconstruction de la flèche sur l’escalier de la chapelle Saint-Sépulcre, près de la grande porte de l’église. Pour ce travail, ils s’engagèrent à fournir les matériaux et à payer les ouvriers, tout en promettant à Gobey une rémunération de 60 livres.

Ce maigre salaire fut sans doute le seul bénéfice pécuniaire que Richard Gobey retira de ses travaux à Saint-Malo de Valognes. Pourtant, il est probable qu’il ait laissé d’autres édifices en héritage, car le dôme de Valognes témoigne d’un talent indéniable, empreint d’une sensibilité artistique singulière et originale.

LE PLAN DE GOBEY

Voici un extrait d'un texte trouvé dans un ancienne "Annuaire du département de la Manche" concernant un plan qui m'a été fourni par Franck Isidor: 

Lorsque les paroissiens traitèrent avec Gobey eu 1607, Ia construction de la
tour était déjà fort avancée ; la partie  basse, octogonale, qui raccorde si heureusement la nef et le chœur, de hauteurs différentes, était construite ainsi que la voûte inférieure, mais il restait à élever l'amortissement  ou couronnement.  Le dessin proposé par le maître bâtisseur d'Amblie a été conservé ; il porte au dos cette note ; "La figure représentée en l'autre part haillée par moy douhz-signé, maître masson, pour la conduite de la couverture de la lanterne de l'église de Vallongnes. R.Gobey" 
Ce dessin est précieux, car les documents de cette nature sont extrêmement rares, mais c'est une œuvre médiocre, faite par un dessinateur inexpérimenté qui n'avait aucune notion de perspective. R.Gobey était plus habitué à tailler la pierre qu'à tenir un crayon. 








Sources : Annuaire du département de la Manche - Bourde de la Rogerie - Archives départementales du Calvados - Franck Isidor.