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Ce dôme est aussi l’héritage d’un architecte longtemps resté dans l’ombre, dont le nom a été révélé grâce à des documents récemment offerts aux archives de la Manche par Louis Foisil : Richard Gobey, maître bâtisseur et maçon de la paroisse d'Amblie, près de Creully.
Les archives confirment que la
conception et l’exécution essentielle de l’ouvrage reviennent à Richard Gobey.
Toutefois, son œuvre fut étroitement liée à celle de Robert Gourrault,
trésorier de l’église, dont le nom demeure attaché au dôme, parfois surnommé «
tour Gourrault ». Gourrault, qui semble avoir agi en tant que surveillant des
travaux en l’absence de Gobey, dut faire appel à la générosité des paroissiens
afin d’obtenir des fonds supplémentaires, indispensables à la poursuite du
chantier.
Lorsqu’en 1607, les paroissiens
conclurent un accord avec Gobey, un acte fut rédigé pour en formaliser les
termes. Ce devis, cependant, témoigne d’une rédaction maladroite : soit que le
maître maçon, peu lettré, ait eu du mal à exprimer sa pensée, soit que le
notaire, ignorant des termes architecturaux, en ait mal transcrit les
explications.
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La pierre d’Orival, embarquée au port de Bernières et
amenée par mer à Quinéville, n’exigea pas moins de « soixante voitures de
harnois » pour être transportée à pied d’œuvre. |
(J'ai recopié ce texte sans en modifier l'orthographe de l'époque.)
Les sieurs ofliciers du Roy, nobles bourgeois et habitans de Vallongnes, savoir nobles hommes Mr Jacques Poerier...........
Par lequel ledit Gobey a promit et s’est obligé, par le corps, faire bastir et rendu prest et parlait dans le jour et feste de Toussaint prochain venant, sur la tour lanterne de l'église dudit lieu un dosme en forme d'impérialle de carreau, sellon et suyvant le dessain et figure de ce baillée el signée par ledit Gobey, lequel dosme sera conduit et élevé à Ia hauteur du coq de la tour de l'horloge de Ia forme et faceon réduite à huit pans égaulx sur ladite lanterne et à chacun pan une fenestre de vingt pouces de laize, de haulteur qu’elle ne pourront estendre soubz le cordon et corniche de de dessus, faisant ceinture à l’entour dudit dosme avec un pilastre représenté au pied droit de chacun costey desdites fenestres de six pouces de face et trois pouces de saillie hors la ligne des esselles, qui sera de huit pouce d'épaisseur, à Ia hauteur de dix pieds de pied- droit soubz ladite corniche avecq les frises au-dessus d'icelle corniche soubz les petites piramides et amortissemens représentez avec leurs crestes sur chacune desdites fenestres, et sera chacune assise dudit dosme d'épaisseur de six poulces par un lit et de sept poulces par l'aultre — et sur chacun coing et carré un ourlet portant ses crestes avec l'admortissement du hault, le tout du carreau prins es « carrières d'Orival, Vallongnes et Yvetot, ainsy que ledit Gobey verra bon; — ci faisant face et parement par dedens et dehors; — et sera tout ledit edifice passonné avec cyment de bricques et vives chaux; — et oultre sera tenu fournir une ceinture en barres de fer attachées et coullées avec le plomb allentour du piedestal dudit dosme avec une aultre ceinture de plomb coullée et engravée dedans l'une desdites assises de carreau viron à la hauteur de la moitié du dit dosme.
Signent :
Poerior — Dumonslior — Lucas — Dumouchel — Le Febvre — De Viray — Jobart — Jacques Jallot — •i G. Le Febvre — J. Le Febvre — Gires — Delangle — Le Verrier — Gobey — Le lBret — Frolland — De Touraine — Poisson — Ogier — Prevastel — Tourneboys — P. Mouchel — Pridechien — Denis — Denis — Marie — Llaisney — Le Maistre et Hourdon, varaffées."
Le 30 août 1607, Richard Gobey apposa son seing sur l’acte de marché, attestant ainsi avoir reçu de Robert Gourrault, avocat et trésorier de l’église, un premier versement de 560 livres sur la somme convenue. Les travaux avancèrent avec vigueur durant un an.
Entre
le 11 novembre 1607 et le 8 septembre 1608, Gourrault déboursa encore 644
livres pour rémunérer les carriers d’Yvetot, les mariniers acheminant la pierre
du Bessin jusqu’à Quinéville, les charretiers la transportant jusqu’à Valognes,
ainsi que les ouvriers la mettant en œuvre. À ces dépenses s’ajoutaient les 500
livres versées en 1607, portant le total à 1204 livres, somme presque
entièrement absorbée, alors que le chantier était encore loin d’être achevé.
À l’été 1608, Gobey quitta
Valognes pour se consacrer à une autre construction à Notre-Dame de Saint-Lô.
Confronté à des pertes financières, il refusa de poursuivre les travaux. Les
paroissiens, outrés, mandatèrent Gourrault pour l’obliger à honorer ses engagements,
n’hésitant pas à envisager la saisie de ses biens et même son emprisonnement.
Acculé, Gobey céda et accepta de revenir à Valognes. Sensibles à sa détresse,
les habitants firent preuve de clémence et lui promirent un complément de 300
livres. Toutefois, cette aide se révéla insuffisante, et l’année suivante,
Gobey se retrouva une nouvelle fois sans ressources.
Dans une requête poignante, il exposa son infortune : son logis d’Amblie avait été pillé, ses biens volés, et il risquait d’être contraint de vendre sa dernière maison et d’envoyer sa famille mendier.
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Creully, Amblie et Bernières sur une carte du littoral de la Manche (1678). |
Il ne réclamait aucun salaire pour lui-même, se contentant de
l’hospitalité d’un paroissien charitable jusqu’à la Toussaint, mais suppliait
que ses ouvriers soient payés. Touchés par son désespoir, les habitants
acceptèrent de verser 200 livres, à condition qu’il ajoute, au sommet de
l’édifice, huit fenêtres avec les moulures et amortissements nécessaires pour
accueillir l’horloge du lieu.
Le 9 novembre 1611, Gourrault
présenta les comptes : il apparut que Gobey avait perçu 2100 livres pour lui,
ses ouvriers et les matériaux, sans en tirer aucun profit. Le trésorier fut
alors chargé d’acquérir quelques charretées de pierre afin de finaliser les
derniers éléments de maçonnerie. Privé de tout nouvel apport financier, Gobey
abandonna une fois de plus le chantier. Pourtant, loin de lui en vouloir, les
habitants réalisèrent qu’il avait été victime d’un marché désavantageux.
Fiers de leur dôme, ils
continuèrent cependant à lui faire confiance et, le 15 décembre 1612, lui
confièrent une nouvelle tâche : la reconstruction de la flèche sur l’escalier
de la chapelle Saint-Sépulcre, près de la grande porte de l’église. Pour ce travail,
ils s’engagèrent à fournir les matériaux et à payer les ouvriers, tout en
promettant à Gobey une rémunération de 60 livres.
Ce maigre salaire fut sans
doute le seul bénéfice pécuniaire que Richard Gobey retira de ses travaux à
Saint-Malo de Valognes. Pourtant, il est probable qu’il ait laissé d’autres
édifices en héritage, car le dôme de Valognes témoigne d’un talent indéniable,
empreint d’une sensibilité artistique singulière et originale.
LE PLAN DE GOBEY
Voici un extrait d'un texte trouvé dans un ancienne "Annuaire du département de la Manche" concernant un plan qui m'a été fourni par Franck Isidor:
tour était déjà fort avancée ; la partie basse, octogonale, qui raccorde si heureusement la nef et le chœur, de hauteurs différentes, était construite ainsi que la voûte inférieure, mais il restait à élever l'amortissement ou couronnement. Le dessin proposé par le maître bâtisseur d'Amblie a été conservé ; il porte au dos cette note ; "La figure représentée en l'autre part haillée par moy douhz-signé, maître masson, pour la conduite de la couverture de la lanterne de l'église de Vallongnes. R.Gobey"
Ce dessin est précieux, car les documents de cette nature sont extrêmement rares, mais c'est une œuvre médiocre, faite par un dessinateur inexpérimenté qui n'avait aucune notion de perspective. R.Gobey était plus habitué à tailler la pierre qu'à tenir un crayon.
Sources : Annuaire du département de la Manche - Bourde de la Rogerie - Archives départementales du Calvados - Franck Isidor.