Ver sur Mer - La légende de la sentinelle de pierre : la "Tour du Fol"

C'était un lieu étrange, presque ensorcelé, où les légendes dansaient encore au crépuscule. Là-bas, à l'angle de la plage, près de l’embouchure d’une petite rivière portant le doux nom de Provence, se dressait autrefois une tour imposante. À l’ombre de ses créneaux et de ses mâchicoulis, elle semblait surveiller les âmes et les marées, défiant le temps et les envahisseurs. On l’appelait La Tour du Fol.

Les anciens prétendaient que cette sentinelle de pierre avait été érigée bien avant l’invasion de la Bretagne (Angleterre) par César et ses légions. Pourtant, nul historien, ni même les érudits les plus opiniâtres, n’ont pu en percer les mystères. Les vieilles pierres murmurent que les Romains, désireux de contenir les rébellions gauloises et de sécuriser leurs conquêtes, bâtirent cette forteresse pour scruter l’horizon, prêts à repousser tout adversaire.

Parmi les hommes qui arpentaient les murailles de cette tour, un centurion

nommé Carus avait laissé une empreinte profonde. Cet officier romain, aguerri et droit, était aussi père. Sa fille Livie, jeune femme à l’éclatante beauté, illuminait ces lieux austères de sa grâce. Dix-huit printemps avaient suffi à façonner son éclat. Avec ses longs cheveux noirs comme l'aile d’un corbeau et ses yeux limpides comme le ciel par une nuit d’été, elle était un poème vivant. Sa beauté n’était pas seulement celle des traits, mais aussi celle d’un cœur pur et aimant.

Livie avait grandi dans l’enceinte protectrice de la forteresse, loin des tumultes du monde extérieur. Mais ce monde finit par la trouver. Une soirée de printemps changea tout. Sous les cieux baignés d’une lueur douce, elle croisa le regard de Verbrenn, un chef gaulois à la bravoure aussi légendaire que son orgueil. Captivé, l’homme ressentit un bouleversement profond en voyant cette silhouette drapée de blanc. Elle semblait à la fois divine et humaine, inaccessible mais si proche. De ce premier échange silencieux naquit une passion aussi brûlante que les braises d’un feu sacré.

Pourtant, leur amour naissant était voué à braver la violence des temps. Verbrenn, malgré ses sentiments, était un rebelle dont la colère et le courage inspiraient les opprimés. À l’appel des Druides et des dieux celtiques, il devint le fer de lance d’une insurrection contre l’envahisseur romain. Une nuit sombre, alors que la forteresse dormait, les Gaulois lancèrent leur assaut. Les cris féroces des assaillants et le tintement des armes rompirent la quiétude. Les gardes furent pris par surprise ; la garnison périt.


Carus, le centurion, tomba en défendant l’honneur de Rome et de sa fille. Livie, dans l’effroi de l’attaque, se retrouva capturée. Quand elle ouvrit les yeux, c’est Verbrenn qu’elle vit, les bras encore marqués par la lutte, mais ses yeux remplis d’un amour dévorant. Si la guerre avait fait d’eux des ennemis, leur passion résonnait comme une trêve secrète. Cependant, en apprenant la mort de son père, Livie sentit la douleur balayer son amour comme un ouragan.

Elle s’empara de l’arme de Verbrenn, se métamorphosant en une lionne de vengeance. Avec une force presque surnaturelle, elle se battit contre ses propres sentiments, contre les vainqueurs qui l’entouraient. Mais son cœur ne trouva ni victoire ni repos. Elle chuta, le corps percé de coups.

Verbrenn, terrassé par le chagrin, se tint près d’elle, incapable d'accepter cette perte. Le guerrier, que ni Rome ni les armes n’avaient pu abattre, s’effondra. Leur union avait défié les lois humaines et les ordres divins. La mort seule s’était imposée.

Les nuits de pleine lune, dit-on, deux silhouettes lumineuses hantent l’ancienne tour. Verbrenn, le héros des Gaules, et Livie, la fière Romaine, marchent côte à côte, unis par l’éternité. Car si la guerre avait ravagé leurs vies, l’amour, dans sa pureté éternelle, avait triomphé du temps et de la mort.

     A la fin du 19e siècle, Georges Lanquest, directeur du journal "le Home" à Paris, fit construire un lotissement appelé "hameau du Petit Trianon" où fut érigé un "temple de l'Amour". On dit que ce fut sur l'emplacement de la "Tour du Fol". Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 l'ensemble est bombardé, seule la maison du garde est épargnée.


Source : Livre de G Lanquest paru en 1907.