Le vent d’octobre soufflait avec âpreté sur la campagne normande, balayant les chemins assombris par la nuit. En cette soirée du 25 octobre 1796, vers dix heures, une troupe d’hommes armés sortit en silence de la maison de Thomas Jullien, un lieu bien connu pour abriter les réunions secrètes des chouans. Drapés dans l’ombre, ils se mirent en route vers la commune de Tierceville.
Une heure plus tard, ils s’arrêtèrent devant la demeure de Pierre Fierville, acquéreur de biens nationaux. Seul en sa maison, il ignorait encore le malheur qui allait s’abattre sur lui. Son épouse et sa fille, occupées à la veillée chez leur voisin Lavallée, cabaretier de son état, n’étaient pas là pour lui venir en aide.
Brusquement, un fracas brisa le silence nocturne. À grands coups de hache, la porte céda, projetant des éclats de bois dans la pièce. La serrure tomba à terre dans un bruit métallique, et, avant même qu’il ne puisse esquisser un geste, Fierville fut saisi. Tremblant, il voulut allumer sa chandelle, mais la peur paralysait ses mains. D’un geste brutal, l’un des assaillants arracha une poignée de paille du lit et la jeta sur les charbons ardents de la cheminée. Une flamme vive illumina aussitôt la pièce, projetant sur les murs des ombres dansantes, grotesques et menaçantes.
Affolé, craignant que l’incendie ne se
propage, Fierville se précipita pour étouffer le feu, mais les chouans ne lui
laissèrent aucune chance. Ils le plaquèrent à genoux, lui bandèrent les yeux
avec ses propres guêtres, puis l’un d’eux posa le canon froid d’un pistolet
contre sa tempe, tandis qu’un autre le tenait en joue avec un mousqueton.
Accablé, il n’eut d’autre choix que de leur livrer tout ce qu’il possédait en
numéraire : environ deux cent soixante-dix francs.
Pendant ce temps, dans l’étable voisine,
sa femme et sa fille entendaient les gémissements du malheureux. Prisonnières
sous la surveillance de plusieurs hommes armés, elles ne pouvaient lui porter
secours. Dans un élan désespéré, deux d’entre elles tentèrent pourtant de fuir,
mais à peine avaient-elles franchi le seuil que les brigands firent feu. Les
balles sifflèrent dans la nuit sans atteindre personne, mais l’avertissement
était clair. Terrifiées, elles furent contraintes de regagner leur prison, sous
menace de mort. À travers les interstices de la porte, elles aperçurent des
éclairs fugaces : les amorces des armes, comme autant de signaux de leur
impuissance.
Lorsque, enfin, les chouans disparurent
dans l’obscurité, les femmes purent regagner leur maison. Une odeur âcre
flottait encore dans l’air. Dans la cheminée, la paille consumée rougeoyait
faiblement. Tout était chaos et désolation.
Quelques instants plus tard, l’un des
assaillants revint furtivement récupérer sa hache oubliée, puis il rejoignit
ses compagnons qui, à l’aube naissante, retrouvèrent la maison de Thomas
Jullien. Là, on les entendit compter l’argent volé et se partager leur butin,
comme de sombres spectres festoyant au cœur de la nuit.