C’était une époque où le parfum de l’Histoire flottait dans l’air comme une brume sur les vagues. Le septième siècle ouvrait son chapitre, et Ver-sur-Mer se tenait fièrement en Normandie, marqué du sceau de saint Gerbold, protecteur bienveillant de ces terres battues par les flots. La Tour de Fol, dominant la mer, perchée non loin de Bayeux, dans le village de Ver sur mer, racontait à elle seule des siècles de destins. Lieu de légendes et d’héritages, elle fut un temps donné, avec les terres environnantes, par le roi Clovis lui-même à l’un de ses plus fidèles capitaines.
Dans la contrée, l'on raconte des légendes qui virent comme décor cette tour que l'on appelait parfois "la Tour de l'Amour"
Clotilde et Lotaire... L'Amour de la Tour de Ver sur mer.
Dans cette tour, Eloi, l’héritier d’une lignée de
preux chevaliers, veillait sur son domaine. Sa fille unique, Clotilde,
incarnait la grâce et la beauté. À seize printemps à peine, elle illuminait
tout ce qui l’entourait, attirant d’innombrables soupirants, séduits autant par
sa douceur que par sa réputation. Mais leurs espoirs se brisaient à chaque fois
sur les récifs de refus mystérieux. Le cœur de Clotilde semblait clos à tous...
sauf à un souvenir.
Ce souvenir portait un nom : Lotaire. Le jeune homme, fils d’un compagnon d’armes de son père, avait grandi à ses côtés. Ensemble, ils avaient appris à rêver, à rire et à aimer. Lorsque Lotaire, à ses dix-huit ans, fut appelé à rejoindre les
armées franques, les deux jeunes cœurs, tremblants mais résolus, s’étaient juré un amour éternel. En gage, ils avaient partagé une médaille de la Vierge, chacun emportant la moitié de ce symbole indissoluble.Les années passèrent. Lotaire s’illustra dans des
batailles féroces, gravissant les échelons de la gloire et s’enrobant de
légendes. Mais pour Clotilde, restée à la tour, le silence qui suivait chaque
victoire résonnait comme un abandon.
Un soir d’hiver, sous les hurlements d’une tempête, un mendiant affaibli, courbé par la souffrance et vêtu de guenilles, frappa timidement à la porte de la tour. Fidèle à sa réputation de bonté, Clotilde accueillit le malheureux, lui offrant chaleur, nourriture, et abri. Le lendemain, le pauvre homme fut cloué à son lit par une faiblesse étrange, révélant une folie latente. Pourtant, loin de l’éloigner, Clotilde le prit en affection. À ses yeux, il y avait dans cet infortuné une étincelle familière, un reflet lointain d’un visage qu’elle avait aimé. Était-ce un caprice du cœur ou un jeu du destin ?
Trois mois passèrent ainsi, le mendiant devenu
une figure énigmatique des lieux. Mais un jour, des rumeurs s’élevèrent : saint
Gerbold, cet homme de Dieu dont la foi résistait à toutes les épreuves, avait
fait jaillir une source miraculeuse non loin de la tour. Clotilde décida d’y
conduire le mendiant, espérant une guérison de l’âme et du corps.
La nuit précédant leur départ, Clotilde passa de
longues heures en prière dans son oratoire, implorant le Seigneur pour son
protégé. Lorsque le matin surgit, enrobant la terre de ses caresses dorées,
elle s’éveilla pleine d’espoir et descendit chercher son père. Ensemble, ils se
dirigèrent vers la grange où dormait l’infortuné. Mais ce qu’ils découvrirent
en ouvrant la porte les laissa sans voix.
Au lieu du mendiant maladif qu’ils attendaient,
un preux chevalier, resplendissant dans une armure étincelante, se dressait
devant eux. Autour de lui, la grange avait été métamorphosée en une salle
féerique : tapis de fleurs, tentures brodées d’or et de soie, trophées d’armes
et étendards resplendissants. Le chevalier mit pied à terre et, s’agenouillant
devant Clotilde, sortit une relique précieuse de sous son plastron : la moitié
de la médaille, ce gage d’amour éternel.
« C’est moi, Clotilde, Lotaire, ton compagnon
d’enfance. Pour prouver ton cœur, j’ai abandonné mes honneurs et ma fortune,
j’ai revêtu les habits de la misère. J’ai voulu voir si celle que j’aime était
aussi généreuse que belle. Aujourd’hui, je sais : ton cœur pur brille plus fort
que tous mes lauriers. »
Les larmes aux yeux, Clotilde reconnut en cet
homme le jeune garçon auquel elle avait offert son amour. Elle tendit la main
vers lui, leur médaille se recomposant en un bijou unique. Main dans la main,
ils prirent la route de la source bénie, non plus en quête d’un miracle, mais
pour que saint Gerbold consacre leur union. Ce jour-là, sous les regards
émerveillés des habitants de la tour, la destinée accomplit son œuvre.
Source : Livre de G Lanquest paru en 1907.