Le Miracle de Frère Geoffroy
Nous sommes à la veille des fêtes de la nativité
au XIIIe siècle.
Le prieuré de Saint-Gabriel, situé au cœur des
plaines normandes, à quelques lieues de Creully, était un lieu de paix et de
dévotion. Sa réputation était celle d’un havre d’érudition, mais aussi de foi
profonde. Parmi les frères qui y vivaient, nul n'était plus humble que Frère Geoffroy,
un moine âgé et aveugle depuis son enfance.
Frère Geoffroy était devenu aveugle après une
maladie qui l'avait frappé à l'âge de dix ans. Bien qu'il n'ait jamais vu les
murs de pierre ni les vitraux de la chapelle, il les « voyait » à travers les
récits des autres moines. Sa cécité n’avait en rien affaibli son esprit ou sa
dévotion. Chaque jour, il louait Dieu en récitant les psaumes par cœur et
aidait les novices à apprendre les prières.
« Geoffroy, lève-toi et sort dans le jardin où s’élève la croix de pierre. Approche-toi de la croix et regarde vers le ciel. »
Se réveillant en sursaut, le vieux moine pensa d’abord à une simple rêverie. Mais une étrange chaleur lui emplissait le cœur, et il se leva malgré le froid mordant. Guidé par sa canne et ses pas qu'il connaissait par cœur, il descendit dans le jardin du prieuré.
À son arrivée près de la croix, il tomba à genoux devant elle. Soudain, une pluie s’abattit sur la petite localité de Saint Gabriel, il sentit les gouttes sur ses paupières aveugles. Il leva la tête et, pour la première fois depuis sa maladie, il vit, malgré la pluie des étoiles dans le ciel. Il approcha de ses yeux sa propre main et ses lignes se dessinèrent devant lui et au loin la chapelle du prieuré. Stupéfait, il murmura : « Seigneur, qu’ai-je fait pour mériter ce don ? »
Est-ce vraiment une légende comme le prouve cette trace écrite ? |
La communauté, touchée par cette révélation, demanda à Frère Geoffroy de raconter son expérience. Certains, émerveillés, se mirent en prière, tandis que d'autres restaient perplexes, tentant de comprendre ce qui avait provoqué un tel événement.
Le prieur considéra ce miracle comme un signe que le prieuré était béni. Il insista pour qu’Geoffroy décrive ce qu’il avait vu lorsque la lumière lui était apparue. Frère Geoffroy répondit humblement : « Ce n’était pas seulement l’église que j’ai vue. C’était comme si toutes les créations divines se manifestaient devant moi : la splendeur des cieux, les champs dorés de blé, et la miséricorde du Seigneur. »
Un jeune jardinier au pied de la croix actuelle. |
Cependant, certains frères, sceptiques ou jaloux, murmurèrent que Geoffroy n’était peut-être qu’un mystificateur, ou que le miracle n’était qu’une hallucination. À ces doutes, Geoffroy répondait avec douceur : « Peut-être ai-je vu par la grâce de Dieu, mais peu importe que ce soit un miracle ou non. Ce qui compte, c'est que ma foi m’a donné la force de voir au-delà de ma cécité. »
« Le Seigneur m’a rendu la vue, non pour moi, mais pour que chacun ici sache que sa lumière brille toujours, même dans les plus grandes ténèbres. Apprenez cela aux novices, et vous verrez qu’ils porteront cette lumière au-delà de ces murs. »
Frère Geoffroy fut enterré dans le cimetière du prieuré. Sur sa tombe, les moines gravèrent ces mots :
« Il a vu plus qu’aucun de nous, même dans l’obscurité. »
Des pèlerins vinrent au prieuré pendant des décennies pour prier sur sa tombe, certains rapportant des guérisons et des signes divins. Bien que le miracle de Frère Geoffroy restât un mystère, il devint un symbole d’espoir pour tous ceux qui traversaient les épreuves de la cécité.