Nous sommes le 30 décembre 1867.
Louis Poisson, journalier, demeurant rue de Tierceville à Creully avec sa femme et ses 5 enfants dont Marie qui deviendra mon arrière-grand-mère maternelle, sortait de l’auberge de Mallard Gustave au hameau Saint-Léger à Carcagny quand il vit arriver, venant certainement de Caen, un petit omnibus attelé de deux chevaux.Deux gendarmes à cheval formaient l’escorte. A l’intérieur, un homme était accompagné par deux gendarmes et deux prêtres.
L’ensemble routier s’arrêta et l’escorte a été prise en charge par des gendarmes de Bayeux.
L’homme qui était transporté n’était autre que Juhel, condamné pour crimes d’assassinat, vol et faux. La guillotine l’attendait sur la place Saint-Patrice à Bayeux pour son exécution.
L’ensemble routier s’arrêta et l’escorte a été prise en charge par des gendarmes de Bayeux.
L’homme qui était transporté n’était autre que Juhel, condamné pour crimes d’assassinat, vol et faux. La guillotine l’attendait sur la place Saint-Patrice à Bayeux pour son exécution.
Le lendemain, Louis Poisson raconta ce fait attablé dans l'auberge Saint-Martin de Creully où l'aubergiste, Jacques Delaplanque s'empressa d'aller chercher un journal qui relatait le procès de Juhel. En voici un extrait :
Le
dimanche 24 avril 1867, le sieur Langalley, garde particulier, découvrit un
cadavre en état de décomposition avancée sur le territoire de la commune de
Magny, où il réside. Le corps semblait être celui d'un homme âgé entre 55 et 60
ans, et présentait des indices suggérant une mort violente. Ce cadavre gisait
sous une haie, délimitant un petit pâturage de forme allongée qui se transforme
en un sentier se dirigeant perpendiculairement vers la route reliant Bayeux à
Arromanches. Ce chemin est séparé de la route par une barrière.
Les autorités judiciaires furent rapidement informées, confirmant que la mort de cet individu inconnu résultait d'une fracture du crâne due à l'utilisation d'un objet contondant, dont la nature restait initialement indéfinie. Le cadavre avait été dépouillé, puisque aucune somme d'argent n'a été trouvée sur lui et seuls un crayon et un morceau de ficelle remplissaient ses poches.
Il n'a pas fallu longtemps pour découvrir que des traces de sang avaient été remarquées auprès de la barrière d'un champ voisin, situé sur la route, et que le 20 août, plusieurs témoins avaient découvert des effets personnels près du chemin entre Arromanches et Sommervieu. Ces effets incluaient une chemise déchirée au poignet, trois billets de banque d'une valeur totale de 250 francs, ainsi qu'un étui contenant des lunettes. À proximité de l'emplacement où la chemise avait été retrouvée, une sorte de fosse d'environ 20 centimètres de profondeur avait été creusée. Apparemment, cette fosse avait été conçue par le meurtrier pour servir de tombe improvisée à la victime.
La priorité des enquêteurs fut d'identifier la victime. Pour cela, des photographies furent prises et distribuées dans diverses directions. Le 27 août, un avocat du nom de M. Lamy de Bayeux reconnut, sur l'une de ces photographies, les traits malheureusement défigurés d'un de ses clients, Pierre Bernard, équarrisseur et tanneur habitant à Crouay, dans l'arrondissement de Bayeux. De façon étrange, M. Lamy venait de recevoir une lettre datée du 26 août, postée de Paris et signée par Pierre Bernard, lui confiant certaines affaires à traiter.
Il était indiscutable que Pierre Bernard était décédé, son corps exhumé ayant été identifié par plusieurs témoins. La date du décès remontait incontestablement à plusieurs jours. Par conséquent, la lettre reçue de Paris devait être l'œuvre de son assassin et avait été rédigée dans le but de fausser les pistes de l'enquête.
Un deuxième indice vint bientôt corroborer le premier et permit d'identifier rapidement le coupable. On apprit qu'un individu du nom de François-Honoré Juhel, cordonnier, et voisin et ami de Bernard à Crouay, avait ramené seul la voiture de Bernard depuis la foire de Guibray. Les enquêteurs se rendirent immédiatement au domicile de Juhel, où les constatations initiales ne laissaient aucun doute quant à sa culpabilité. Ils commencèrent par comparer l'écriture de Juhel à celle des lettres envoyées à l'avocat Lamy ainsi qu'à un adjoint de la commune du nom de Turgis, également datées de Paris et signées par Bernard. Cette comparaison permit d'établir que les lettres avaient été rédigées par l'accusé. De plus, lors de l'inspection de la voiture de Bernard ramenée par Juhel, des traces évidentes du crime furent découvertes : les planches du fond et l'essieu étaient tachés de sang, les côtés souillés étaient rabattus sur le fond pour le dissimuler, le tout était recouvert de petites pailles et montrait des signes visibles de grattage récent.
Face à ces preuves accablantes, Juhel tenta de prétendre que le sang provenait d'animaux morts transportés par Bernard. En ce qui concernait Bernard, Juhel reconnut qu'ils s'étaient effectivement croisés à Guibray et étaient revenus ensemble, partageant même une nuit à Lengannerie le 18 août. Par la suite, ils s'étaient séparés le 19 août à la Maladrerie. Quant à Bernard, il n'était venu dans cette localité que pour régler une dette, puis avait pris le train pour Paris depuis Caen. Juhel était rentré chez lui vers 22 ou 23 heures après être passé près d'Arromanches pour y chercher un débiteur.
Il savait que Bernard avait vendu certains cuirs au comptant et supposait que celui-ci toucherait le paiement du reste à Paris. À Guibray, Juhel avait emprunté 300 francs à Bernard, un ami proche, avec qui il avait pu avoir une dette de 1 000 à 1 200 francs à un moment donné. De plus, le 21 août, Bernard lui avait écrit de Paris : "Mon cher ami, je vous écris pour vous dire de soigner mes bœufs, faites comme pour vous. De la part de votre ami, P. Bernard."
Cette histoire ne pouvait être soutenue longtemps. Par conséquent, l'accusé fut arrêté et ne tarda pas à élaborer une version différente qu'il croyait plus plausible.
Le 29 août suivant, il décida de faire des révélations. Selon lui, Bernard avait bel et bien été assassiné. Le 19 août, entre Sainte-Croix et Saint-Léger, sur la route, vers 14 ou 15 heures, un inconnu monta dans la voiture et assomma Bernard, qui dormait, à l'aide d'un marteau. L'inconnu se tourna ensuite vers Juhel, le conducteur, qui réussit à s'échapper. Après un certain temps, Juhel retourna sur les lieux. Entre-temps, l'inconnu avait pris la fuite après avoir dépouillé sa victime. Cependant, la présence du cadavre posait un problème majeur, car elle éveillait des soupçons. Pour éviter cela, Juhel dissimula le cadavre sous des cuirs, puis le transporta sur la voiture. Finalement, il abandonna le corps à l'endroit où il fut retrouvé ultérieurement.
Cependant, cette version ne put être maintenue bien longtemps, tout comme la première. Les preuves accumulées rendaient inévitable une nouvelle étape dans les aveux de l'accusé.
Une nouvelle perquisition fut menée chez Juhel, cette fois avec succès, puisqu'un couteau appartenant à la victime fut trouvé caché, prouvant sans équivoque que l'accusé avait volé Bernard. Les investigations se poursuivirent et permirent de découvrir l'argent, les cuirs et les papiers dérobés dans la maison de Bernard. Ils avaient été acquis à l'aide de la clé prise sur le cadavre de Bernard. La limousine de la victime fut retrouvée, et des cendres de papiers brûlés, probablement des billets signés par Juhel au nom de Bernard, furent récupérées dans la cheminée. De plus, une bêche provenant du fond d'un puits, qui aurait pu servir à commettre le crime, fut également découverte, ainsi que deux bourses en cuir appartenant à Bernard.
Dans ces circonstances, avec ces preuves accablantes, l'accusé reconnut finalement qu'il était l'auteur de l'assassinat. Cependant, ses aveux étaient également teintés de mensonges.
Au pied de l’échafaud, ce calme extraordinaire, qui ne
l’avait pas quitté, est resté le même. Il a gravi bravement les marches, s'est
agenouillé un instant sur la dernière et s'est livré enfin aux mains des
exécuteurs. Quelques secondes après, tout était terminé.
Source : Archives du Calvados
Les autorités judiciaires furent rapidement informées, confirmant que la mort de cet individu inconnu résultait d'une fracture du crâne due à l'utilisation d'un objet contondant, dont la nature restait initialement indéfinie. Le cadavre avait été dépouillé, puisque aucune somme d'argent n'a été trouvée sur lui et seuls un crayon et un morceau de ficelle remplissaient ses poches.
Il n'a pas fallu longtemps pour découvrir que des traces de sang avaient été remarquées auprès de la barrière d'un champ voisin, situé sur la route, et que le 20 août, plusieurs témoins avaient découvert des effets personnels près du chemin entre Arromanches et Sommervieu. Ces effets incluaient une chemise déchirée au poignet, trois billets de banque d'une valeur totale de 250 francs, ainsi qu'un étui contenant des lunettes. À proximité de l'emplacement où la chemise avait été retrouvée, une sorte de fosse d'environ 20 centimètres de profondeur avait été creusée. Apparemment, cette fosse avait été conçue par le meurtrier pour servir de tombe improvisée à la victime.
La priorité des enquêteurs fut d'identifier la victime. Pour cela, des photographies furent prises et distribuées dans diverses directions. Le 27 août, un avocat du nom de M. Lamy de Bayeux reconnut, sur l'une de ces photographies, les traits malheureusement défigurés d'un de ses clients, Pierre Bernard, équarrisseur et tanneur habitant à Crouay, dans l'arrondissement de Bayeux. De façon étrange, M. Lamy venait de recevoir une lettre datée du 26 août, postée de Paris et signée par Pierre Bernard, lui confiant certaines affaires à traiter.
Il était indiscutable que Pierre Bernard était décédé, son corps exhumé ayant été identifié par plusieurs témoins. La date du décès remontait incontestablement à plusieurs jours. Par conséquent, la lettre reçue de Paris devait être l'œuvre de son assassin et avait été rédigée dans le but de fausser les pistes de l'enquête.
Un deuxième indice vint bientôt corroborer le premier et permit d'identifier rapidement le coupable. On apprit qu'un individu du nom de François-Honoré Juhel, cordonnier, et voisin et ami de Bernard à Crouay, avait ramené seul la voiture de Bernard depuis la foire de Guibray. Les enquêteurs se rendirent immédiatement au domicile de Juhel, où les constatations initiales ne laissaient aucun doute quant à sa culpabilité. Ils commencèrent par comparer l'écriture de Juhel à celle des lettres envoyées à l'avocat Lamy ainsi qu'à un adjoint de la commune du nom de Turgis, également datées de Paris et signées par Bernard. Cette comparaison permit d'établir que les lettres avaient été rédigées par l'accusé. De plus, lors de l'inspection de la voiture de Bernard ramenée par Juhel, des traces évidentes du crime furent découvertes : les planches du fond et l'essieu étaient tachés de sang, les côtés souillés étaient rabattus sur le fond pour le dissimuler, le tout était recouvert de petites pailles et montrait des signes visibles de grattage récent.
Face à ces preuves accablantes, Juhel tenta de prétendre que le sang provenait d'animaux morts transportés par Bernard. En ce qui concernait Bernard, Juhel reconnut qu'ils s'étaient effectivement croisés à Guibray et étaient revenus ensemble, partageant même une nuit à Lengannerie le 18 août. Par la suite, ils s'étaient séparés le 19 août à la Maladrerie. Quant à Bernard, il n'était venu dans cette localité que pour régler une dette, puis avait pris le train pour Paris depuis Caen. Juhel était rentré chez lui vers 22 ou 23 heures après être passé près d'Arromanches pour y chercher un débiteur.
Il savait que Bernard avait vendu certains cuirs au comptant et supposait que celui-ci toucherait le paiement du reste à Paris. À Guibray, Juhel avait emprunté 300 francs à Bernard, un ami proche, avec qui il avait pu avoir une dette de 1 000 à 1 200 francs à un moment donné. De plus, le 21 août, Bernard lui avait écrit de Paris : "Mon cher ami, je vous écris pour vous dire de soigner mes bœufs, faites comme pour vous. De la part de votre ami, P. Bernard."
Cette histoire ne pouvait être soutenue longtemps. Par conséquent, l'accusé fut arrêté et ne tarda pas à élaborer une version différente qu'il croyait plus plausible.
Le 29 août suivant, il décida de faire des révélations. Selon lui, Bernard avait bel et bien été assassiné. Le 19 août, entre Sainte-Croix et Saint-Léger, sur la route, vers 14 ou 15 heures, un inconnu monta dans la voiture et assomma Bernard, qui dormait, à l'aide d'un marteau. L'inconnu se tourna ensuite vers Juhel, le conducteur, qui réussit à s'échapper. Après un certain temps, Juhel retourna sur les lieux. Entre-temps, l'inconnu avait pris la fuite après avoir dépouillé sa victime. Cependant, la présence du cadavre posait un problème majeur, car elle éveillait des soupçons. Pour éviter cela, Juhel dissimula le cadavre sous des cuirs, puis le transporta sur la voiture. Finalement, il abandonna le corps à l'endroit où il fut retrouvé ultérieurement.
Cependant, cette version ne put être maintenue bien longtemps, tout comme la première. Les preuves accumulées rendaient inévitable une nouvelle étape dans les aveux de l'accusé.
Une nouvelle perquisition fut menée chez Juhel, cette fois avec succès, puisqu'un couteau appartenant à la victime fut trouvé caché, prouvant sans équivoque que l'accusé avait volé Bernard. Les investigations se poursuivirent et permirent de découvrir l'argent, les cuirs et les papiers dérobés dans la maison de Bernard. Ils avaient été acquis à l'aide de la clé prise sur le cadavre de Bernard. La limousine de la victime fut retrouvée, et des cendres de papiers brûlés, probablement des billets signés par Juhel au nom de Bernard, furent récupérées dans la cheminée. De plus, une bêche provenant du fond d'un puits, qui aurait pu servir à commettre le crime, fut également découverte, ainsi que deux bourses en cuir appartenant à Bernard.
Dans ces circonstances, avec ces preuves accablantes, l'accusé reconnut finalement qu'il était l'auteur de l'assassinat. Cependant, ses aveux étaient également teintés de mensonges.
La peine de mort |
C'est dans "la Gazette des tribunaux" que j'ai extrait une partie de l'article qui relatait les dernières heures du condamné.
Lundi, à une heure et demie du matin, Juhel a appris la fatale nouvelle. Depuis sa condamnation, il avait, non pas perdu un espoir qu’il n’a peut-être jamais eu, mais accepté d’avance sa mort avec une sorte d’insouciance placide dont il ne s’est jamais départi. L’un de ces derniers jours encore, il a écrit à sa femme et à sa sœur, et il leur parlait du dénouement prochain comme d’une chose allant de soi, sans grande émotion, ne regrettant que l’obligation où il serait de retourner à Bayeux.
À une heure et demie, le gardien chef de la maison d’arrêt de Caen, accompagné de deux gardiens, de M. L’abbé Lemoine, aumônier, et de M. L’abbé Dubuisson, aumônier de la prison de Bayeux, est entré dans la cellule du condamné. Juhel, qui s’était couché paisiblement la veille, dormait encore. Au bruit des verrous, il s’est réveillé et s'est soulevé un peu dans son lit. Il a tout de suite compris ce dont il s’agissait. Il a reçu sans surprise la confirmation de la nouvelle. Aussitôt, il a embrassé les deux aumôniers et s'est levé tranquillement.
La camisole de force dont il était revêtu nuit et jour, et qu’il ne quittait guère qu’au moment des repas, lui a été enlevée. On lui a également retiré les habits de la prison, et on lui a donné ceux qu’il portait pendant son procès. Ces différentes manœuvres se sont exécutées sans qu'il témoigne aucune émotion. Son visage est resté aussi calme qu'à l'habitude. À une interrogation concernant son état de santé et sur ce qu’il éprouvait, il a répondu qu’il ne souffrait pas et qu’il n’avait aucune faiblesse. En effet, le pouls avait gardé sa quiétude normale.
Au sortir de sa cellule, Juhel est descendu prestement les escaliers, a traversé la cour et est monté du même pas l’escalier conduisant à la chapelle. Là, il s’est confessé à M. L’abbé Lemoine, a entendu la messe célébrée par le digne ecclésiastique, des mains duquel il a reçu la communion. Deux religieuses, attachées à la maison d’arrêt, ont communié avec lui. Juhel a ensuite entendu une seconde messe dite à son intention par M. L’abbé Dubuisson.
Pendant tout ce temps, Juhel est resté à genoux et immobile sur un escabeau devant l’autel. Il avait à la main un livre qu’il était allé chercher lui-même sur l’appui d’une fenêtre, et il le feuilletait parfois. Sa physionomie n’a pas perdu un seul instant le même calme imperturbable. Au moment des dernières prières, lorsque l’aumônier récitait pour lui, à haute voix, l’acte suprême de contrition, implorant la clémence divine en faveur de celui qui devait mourir le jour même, seul il a conservé son impassibilité parmi les assistants émus jusqu’aux larmes.
De la chapelle, Juhel est descendu à la geôle, où se trouvait le greffier de la cour d’assises chargé de lui signifier le rejet de sa demande en grâce. Sur l’offre qui lui a été faite d'en entendre la lecture, il a dit qu’il connaissait le rejet et que le reste était inutile. Il était alors trois heures dix minutes. Le départ pour Bayeux était fixé à trois heures et demie juste.
Juhel a donc attendu environ vingt minutes. M. L’abbé Lemoine lui a offert une chaise à côté de lui devant le poêle. De son côté, le gardien chef lui a proposé de prendre un peu de nourriture. Il a refusé tout d’abord, mais sur l’avis de l’aumônier, et en voyant celui-ci accepter une bouchée de pain sec, Juhel a suivi son exemple. Il a donc mangé un petit morceau de pain et bu un verre de vin rouge. En portant le verre à ses lèvres, il s'est tourné du côté des dignes aumôniers et des gardiens, et a dit d'une voix faible, bien que parfaitement assurée : « À votre santé, messieurs et la compagnie. » Il n'a voulu accepter rien d'autre.
Enfin, un avis a été donné que la voiture et l’escorte attendaient et qu’on pouvait partir quand l’aumônier le jugerait bon (il s’en fallait de quelques minutes qu’il ne soit trois heures et demie). Juhel n'a fait aucune difficulté pour se mettre en route. Il a salué tranquillement et a suivi les gardiens d’un pas ferme.
À la porte de la prison, il a été remis entre les mains des gendarmes. L’un d’eux a essayé de lui passer une chaîne autour des bras, par derrière le dos. Juhel, qui n’était pas grand, mais gros et trapu, portait une veste en tricot de laine. La chaîne s’est trouvée trop courte, et pour l’assujettir, il aurait fallu le faire souffrir. Il en a fait doucement la remarque. Au lieu de la passer autour des bras, le gendarme l’a mise autour des poignets, que Juhel a tendus de lui-même. L’instant d’avant, il disait : « Mon Dieu ! J'irai bien sans cela ; il n’y a rien à craindre. »
Il a quitté rapidement le seuil de la prison et est monté sans hésiter dans la voiture qui l’a conduit à Bayeux. Le triste convoi est parti au trot. À peine une vingtaine de curieux se trouvaient à cette heure matinale devant la prison de Bayeux.
Des agents de police et des soldats du poste ont formé la haie depuis la voiture jusqu’à la prison.
En descendant de la voiture, Juhel a donné des poignées de main aux gardiens de la prison. Les exécuteurs des hautes-œuvres (celui de Caen, celui de Rennes avec un aide) ont commencé l’horrible toilette à sept heures et demie. À huit heures moins le quart, le condamné a quitté la prison. Il a pris place dans la charrette avec les deux aumôniers, qu’il a embrassés à plusieurs reprises.
Lundi, à une heure et demie du matin, Juhel a appris la fatale nouvelle. Depuis sa condamnation, il avait, non pas perdu un espoir qu’il n’a peut-être jamais eu, mais accepté d’avance sa mort avec une sorte d’insouciance placide dont il ne s’est jamais départi. L’un de ces derniers jours encore, il a écrit à sa femme et à sa sœur, et il leur parlait du dénouement prochain comme d’une chose allant de soi, sans grande émotion, ne regrettant que l’obligation où il serait de retourner à Bayeux.
À une heure et demie, le gardien chef de la maison d’arrêt de Caen, accompagné de deux gardiens, de M. L’abbé Lemoine, aumônier, et de M. L’abbé Dubuisson, aumônier de la prison de Bayeux, est entré dans la cellule du condamné. Juhel, qui s’était couché paisiblement la veille, dormait encore. Au bruit des verrous, il s’est réveillé et s'est soulevé un peu dans son lit. Il a tout de suite compris ce dont il s’agissait. Il a reçu sans surprise la confirmation de la nouvelle. Aussitôt, il a embrassé les deux aumôniers et s'est levé tranquillement.
La camisole de force dont il était revêtu nuit et jour, et qu’il ne quittait guère qu’au moment des repas, lui a été enlevée. On lui a également retiré les habits de la prison, et on lui a donné ceux qu’il portait pendant son procès. Ces différentes manœuvres se sont exécutées sans qu'il témoigne aucune émotion. Son visage est resté aussi calme qu'à l'habitude. À une interrogation concernant son état de santé et sur ce qu’il éprouvait, il a répondu qu’il ne souffrait pas et qu’il n’avait aucune faiblesse. En effet, le pouls avait gardé sa quiétude normale.
Au sortir de sa cellule, Juhel est descendu prestement les escaliers, a traversé la cour et est monté du même pas l’escalier conduisant à la chapelle. Là, il s’est confessé à M. L’abbé Lemoine, a entendu la messe célébrée par le digne ecclésiastique, des mains duquel il a reçu la communion. Deux religieuses, attachées à la maison d’arrêt, ont communié avec lui. Juhel a ensuite entendu une seconde messe dite à son intention par M. L’abbé Dubuisson.
Pendant tout ce temps, Juhel est resté à genoux et immobile sur un escabeau devant l’autel. Il avait à la main un livre qu’il était allé chercher lui-même sur l’appui d’une fenêtre, et il le feuilletait parfois. Sa physionomie n’a pas perdu un seul instant le même calme imperturbable. Au moment des dernières prières, lorsque l’aumônier récitait pour lui, à haute voix, l’acte suprême de contrition, implorant la clémence divine en faveur de celui qui devait mourir le jour même, seul il a conservé son impassibilité parmi les assistants émus jusqu’aux larmes.
De la chapelle, Juhel est descendu à la geôle, où se trouvait le greffier de la cour d’assises chargé de lui signifier le rejet de sa demande en grâce. Sur l’offre qui lui a été faite d'en entendre la lecture, il a dit qu’il connaissait le rejet et que le reste était inutile. Il était alors trois heures dix minutes. Le départ pour Bayeux était fixé à trois heures et demie juste.
Juhel a donc attendu environ vingt minutes. M. L’abbé Lemoine lui a offert une chaise à côté de lui devant le poêle. De son côté, le gardien chef lui a proposé de prendre un peu de nourriture. Il a refusé tout d’abord, mais sur l’avis de l’aumônier, et en voyant celui-ci accepter une bouchée de pain sec, Juhel a suivi son exemple. Il a donc mangé un petit morceau de pain et bu un verre de vin rouge. En portant le verre à ses lèvres, il s'est tourné du côté des dignes aumôniers et des gardiens, et a dit d'une voix faible, bien que parfaitement assurée : « À votre santé, messieurs et la compagnie. » Il n'a voulu accepter rien d'autre.
Enfin, un avis a été donné que la voiture et l’escorte attendaient et qu’on pouvait partir quand l’aumônier le jugerait bon (il s’en fallait de quelques minutes qu’il ne soit trois heures et demie). Juhel n'a fait aucune difficulté pour se mettre en route. Il a salué tranquillement et a suivi les gardiens d’un pas ferme.
À la porte de la prison, il a été remis entre les mains des gendarmes. L’un d’eux a essayé de lui passer une chaîne autour des bras, par derrière le dos. Juhel, qui n’était pas grand, mais gros et trapu, portait une veste en tricot de laine. La chaîne s’est trouvée trop courte, et pour l’assujettir, il aurait fallu le faire souffrir. Il en a fait doucement la remarque. Au lieu de la passer autour des bras, le gendarme l’a mise autour des poignets, que Juhel a tendus de lui-même. L’instant d’avant, il disait : « Mon Dieu ! J'irai bien sans cela ; il n’y a rien à craindre. »
Il a quitté rapidement le seuil de la prison et est monté sans hésiter dans la voiture qui l’a conduit à Bayeux. Le triste convoi est parti au trot. À peine une vingtaine de curieux se trouvaient à cette heure matinale devant la prison de Bayeux.
La prison de Bayeux. |
Des agents de police et des soldats du poste ont formé la haie depuis la voiture jusqu’à la prison.
En descendant de la voiture, Juhel a donné des poignées de main aux gardiens de la prison. Les exécuteurs des hautes-œuvres (celui de Caen, celui de Rennes avec un aide) ont commencé l’horrible toilette à sept heures et demie. À huit heures moins le quart, le condamné a quitté la prison. Il a pris place dans la charrette avec les deux aumôniers, qu’il a embrassés à plusieurs reprises.
La place St Patrice de Bayeux. |
Source : Archives du Calvados