1870 et spécialiste de l'histoire normande, écrivit un nouveau roman : Le général nu-pieds.
"Dans la soirée, une lampe éclairait de ses pâles reflets l’intérieur d’une chaumière du bourg de Creully. La mèche nageait dans un bassin en fer battu, huileux, suintant, noir comme l’extérieur d’un chaudron tapissé de suie. Elle pétillait en brillant. Et c'étaient par moments de telles faiblesses qu’on aurait juré que le pauvre lampion se permettait de temps en temps, comme un astre mieux posé, la fantaisie d’une éclipse.
Alors, ce n'était plus dans le misérable rez-de-chaussée qu'une demi-clarté, plus effroyable que les ténèbres, une de ces nuits lugubres comme il s’en fait dans la campagne, lorsque le disque rouge de la lune colore toutes choses de teintes sanglantes.
Mais quand le spectre s’approchait de la lampe, quand il retrempait la mèche dans son bain d'huile, quand la flamme rajeunie jaillissait, vive et claire, comme un œil morne qui se rallume tout à coup au feu de la passion, c'était une transformation, un changement à vue, un tableau tranquille après un décor effrayant.
La sorcière n’était plus qu’une pauvre vieille femme, aux traits amaigris par les privations, ridés par l'âge, assombris par le chagrin.
C'était la misère, ce n'était plus le crime.
Et les instruments de torture? Et les cadavres ? Chimères ! ...Tout était transformé.
On était au milieu d'une boutique de savetier.
Là, se trouvaient la scabelle à trois pieds sur laquelle s’assied l'artisan, le baquet de bois ou il laisse tremper les cuirs, le tire-pied pour tenir l'ouvrage en travaillant, le couteau-à-pied destiné à le tailler ; la râpe à râper les formes, l'alène le marteau à tête de champignon, qu’on emploie pour brocher les semelles ; le tranchet, la pince, espèce de tenailles dentelées, l'astic, gros os de cheval dont on lisse les semelles, le bouis qui lisse les talons.
Et dans le reste de la pièce, partout, sur les meubles, sur des planches, à des clous, dans les coins, un entassement de vieux souliers, un étalage de peaux de vaches et de cordouans mêlés aux ustensiles du ménage.
La vieille se rapprocha de la chaudière, qui n'était autre chose qu'une marmite ou fumait Ia soupe. Elle se pencha sur le vase de terre, qui frémissait sous l'action du feu. Perdue dans un nuage de vapeur, elle essayait, avec une large cuillère percée de trous, l'écume blanche qui bouillonnait à la surface du liquide ; puis elle la rejetait dans les cendres."