Voici un article rédigé pour la presse canadienne par Maurice Desjardins, correspondant des journaux de langue française.
Ils ont hâte de respirer l'air pur, d’échapper enfin à l’odieuse occupation qui empoisonne leur existence depuis quatre ans
Pour les deux cents habitants de Saint-Gabriel, cette attente est terminée. La libération de ce hameau du département de Calvados est en effet un fait accompli et les braves paysans, qui habitent ses maisons anciennes, ont repris goût à la vie.
Situé dans la plaine de Caen, entre Creully et Bayeux, le village de Saint-Gabriel est le prototype du village français. Sa population vit d’élevage et cultive le blé et autres céréales. Elle est aussi fière de son cidre et de son camembert.
Le curé, M. I ’abbé Frayard qui dessert aussi deux autres petites paroisses, est un mutilé de la grande guerre. Le maire M. Delacour est le châtelain, mais il habite Paris où il est conseiller à la Cour des comptes.
M. Noël, le percepteur des impôts habite Saint-Gabriel depuis dix ans. C'est d'après ses propos fidèlement recueillis au cours d’une entrevue, que sera reconstituée ci-après la phase douloureuse de l'occupation boche.
"Nous avons vu en Juin 1940 arriver les réfugiés de Paris ; des gens qui avaient été mitraillés et qui transportaient des matelas sur des voitures. Puis, ce furent les réfugiés du Nord et de la Seine Inférieure. Lorsque les allemands franchirent la Seine, nos gens partirent n’importe où vers l'ouest ou vers le sud. C'était une véritable panique, ils partaient avec des brouettes, des voiturettes d'enfants ou tout ce qui pouvait leur tomber sous la main. On ne se battit pas à Saint-Gabriel.
Le 17 juin nous avons vu passer les derniers anglais qui étaient dans des camions et se dirigeaient vers Cherbourg. En passant, ils nous disaient au revoir.
"Trois jours plus tard les premiers allemands arrivaient dans de petits chars blindés. Tout le monde restait à la maison, car les allemands avaient déjà une réputation de bandits.
"L'armistice nous soulagea quelque peu mais l’avenir n'était pas rose, car nous savions que les boches occuperaient tout le pays et nous croyions I ’Angleterre finie également.
"Au début de Juillet, ils sont venus réquisitionner la minoterie de M. Roussel pour la kommandantur, une succursale de la kommandantur principale, qui était située à Creully. A deux kilomètres de Saint-Gabriel. Les Allemands étaient furieux lorsqu’ils s'apercevaient que les maisons qu’ils réquisitionnaient étaient vides. Ils disaient que nons avions eu peur et pour se venger, ils pillaient tout et expédiaient nos meubles et nos vêtements en Allemagne.
"Quoiqu'ils eussent à cœur de paraître corrects, les jeunes Hitlériens étaient une terreur pour nous et tous scandalisaient nos bonnes gens car ils pratiquaient le nudisme intégral.
"Le personnel de la Kommandantur était souvent changé, sans doute pour éviter qu’il ne se crée des amitiés trop fortes dans le village. Une des premières proclamations fut d’interdire sous peine de mort d'écouter la radio anglaise mais personne ne se gêna pour écouter les émissions de la B. B. C.
"Nous avions le droit de voyager, mais comme nous étions en zone interdite, les français des provinces d’intérieur n'avaient pas le droit de nous visiter. Le secrétaire du maire fabriquait de fausses cartes d'identité que nous envoyions par courrier à nos amis de Paris pour leur permettre de venir nous voir.
"Seuls les véhicules servant au ravitaillement ou aux services médicaux pouvaient obtenir de l’essence qui était distribuée au compte-goutte, mais on se débrouillait car de gros stocks d'essence avaient été dissimulés et puis on en chipait dans les garages des boches.
"Il fallait décliner à des commissions la quantité de blé, de pommes de terre et de foin que nous avions en culture mais nos cultivateurs faisaient leur propre pain et le meunier fabriquait clandestinement une quantité de farine pour la consommation exclusive des français. Le cidre ne manquait pas et nous en avons toujours bu du cidre car il faut une occasion extraordinaire pour que nous buvions du vin.
"Pour les fins de leur propagande, les allemands avaient recours à des ruses diaboliques. Un jour Ils nous, réunirent et demandèrent à ceux qui voulaient des pommes de terre de lever la main droite. Tout le monde leva la main naturellement et alors un photographe nazi prit un instantané du geste et la photographie fut montrée en Allemagne pour prouver que les paysans normands avaient pris l'habitude du salut nazi.
"Au cinéma où passaient des films allemands doublés en français, il était interdit de manifester mais lorsqu'apparaissait la binette d'Hitler, tout le monde se mouchait avec bruit ce qui rendait les allemands furieux, mais que pouvaient-ils faire.
"Ce qui nous manquait surtout c'étaient des chaussures, des textiles, des articles de toilette et des conserves.
"Les Allemands faisaient mine d'acheter à bon prix ce dont ils avaient besoin mais ce n'était qu'une autre méthode de pillage car Ils payaient avec de la monnaie sans valeur. Les allemands avaient de très maigres rations et comme leurs supérieurs ne leur défendaient pas de faire appel aux ressources du pays Ils allaient réquisitionner des centaines de litres de lait et si le fermier refusait, ils allaient traire les vaches eux-mêmes. Dans les hôtels, ils louaient les meilleures chambres et c'était la France qui payait tout. Une voiture allemande ayant écrasé un gosse, les frais d'inhumation devinrent des frais d’occupation.
"Les personnes trouvées sur la rue après le couvre-feu de onze heures étaient envoyées au poste de police où les hommes ciraient les bottes des soldats tandis que les femmes raccommodaient les chemises.
"L'an dernier un avion allié fut abattu près de Bayeux. Ses occupants, tués sur le coup, furent enterrés non loin de là. Les habitants des alentours voulurent assister aux funérailles, mais les allemands arrêtèrent tous ceux qui se trouvaient là et obligèrent par la suite, les hommes à planter des pieux dans les environs en guise d'obstacles contre d'autres atterrissages possibles de l’aviation des Nations Unies."
M. Noël me dit aussi que dans la région on ne s'attendait pas du tout à ce que les Alliés fissent leurs premiers débarquements sur la côte normande en raison des rochers sous-marins de la côte du Calvados.
Le six juin, jour de l'invasion, il me conte, vers les quatre heures du matin, il contempla de sa fenêtre les bombardements aériens qui précédèrent les débarquements alliés. Les trois premiers soldats britanniques entrèrent à Saint-Gabriel à six heures du soir, le même jour.
Au cours de l'après-midi, toujours d'après M. Noël, les soldats allemands s'occupèrent fébrilement à préparer leur retraite.
En terminant, M Noël se fit l'écho de ses concitoyens en me disant combien ils étaient tous heureux que les Alliés fussent en France, et, aussi que par miracle ou presque, leur village eut été à peu près épargné par les bombardements alliés.
Avec les troupes
canadiennes en France le 27 juin 1944.
Il y a en France des
milliers de petits villages qui attendent en frémissant leur libération.Ils ont hâte de respirer l'air pur, d’échapper enfin à l’odieuse occupation qui empoisonne leur existence depuis quatre ans
Pour les deux cents habitants de Saint-Gabriel, cette attente est terminée. La libération de ce hameau du département de Calvados est en effet un fait accompli et les braves paysans, qui habitent ses maisons anciennes, ont repris goût à la vie.
Situé dans la plaine de Caen, entre Creully et Bayeux, le village de Saint-Gabriel est le prototype du village français. Sa population vit d’élevage et cultive le blé et autres céréales. Elle est aussi fière de son cidre et de son camembert.
Le curé, M. I ’abbé Frayard qui dessert aussi deux autres petites paroisses, est un mutilé de la grande guerre. Le maire M. Delacour est le châtelain, mais il habite Paris où il est conseiller à la Cour des comptes.
M. Noël, le percepteur des impôts habite Saint-Gabriel depuis dix ans. C'est d'après ses propos fidèlement recueillis au cours d’une entrevue, que sera reconstituée ci-après la phase douloureuse de l'occupation boche.
"Nous avons vu en Juin 1940 arriver les réfugiés de Paris ; des gens qui avaient été mitraillés et qui transportaient des matelas sur des voitures. Puis, ce furent les réfugiés du Nord et de la Seine Inférieure. Lorsque les allemands franchirent la Seine, nos gens partirent n’importe où vers l'ouest ou vers le sud. C'était une véritable panique, ils partaient avec des brouettes, des voiturettes d'enfants ou tout ce qui pouvait leur tomber sous la main. On ne se battit pas à Saint-Gabriel.
Le 17 juin nous avons vu passer les derniers anglais qui étaient dans des camions et se dirigeaient vers Cherbourg. En passant, ils nous disaient au revoir.
"Trois jours plus tard les premiers allemands arrivaient dans de petits chars blindés. Tout le monde restait à la maison, car les allemands avaient déjà une réputation de bandits.
"L'armistice nous soulagea quelque peu mais l’avenir n'était pas rose, car nous savions que les boches occuperaient tout le pays et nous croyions I ’Angleterre finie également.
"Au début de Juillet, ils sont venus réquisitionner la minoterie de M. Roussel pour la kommandantur, une succursale de la kommandantur principale, qui était située à Creully. A deux kilomètres de Saint-Gabriel. Les Allemands étaient furieux lorsqu’ils s'apercevaient que les maisons qu’ils réquisitionnaient étaient vides. Ils disaient que nons avions eu peur et pour se venger, ils pillaient tout et expédiaient nos meubles et nos vêtements en Allemagne.
"Quoiqu'ils eussent à cœur de paraître corrects, les jeunes Hitlériens étaient une terreur pour nous et tous scandalisaient nos bonnes gens car ils pratiquaient le nudisme intégral.
"Le personnel de la Kommandantur était souvent changé, sans doute pour éviter qu’il ne se crée des amitiés trop fortes dans le village. Une des premières proclamations fut d’interdire sous peine de mort d'écouter la radio anglaise mais personne ne se gêna pour écouter les émissions de la B. B. C.
"Nous avions le droit de voyager, mais comme nous étions en zone interdite, les français des provinces d’intérieur n'avaient pas le droit de nous visiter. Le secrétaire du maire fabriquait de fausses cartes d'identité que nous envoyions par courrier à nos amis de Paris pour leur permettre de venir nous voir.
"Seuls les véhicules servant au ravitaillement ou aux services médicaux pouvaient obtenir de l’essence qui était distribuée au compte-goutte, mais on se débrouillait car de gros stocks d'essence avaient été dissimulés et puis on en chipait dans les garages des boches.
"Il fallait décliner à des commissions la quantité de blé, de pommes de terre et de foin que nous avions en culture mais nos cultivateurs faisaient leur propre pain et le meunier fabriquait clandestinement une quantité de farine pour la consommation exclusive des français. Le cidre ne manquait pas et nous en avons toujours bu du cidre car il faut une occasion extraordinaire pour que nous buvions du vin.
"Pour les fins de leur propagande, les allemands avaient recours à des ruses diaboliques. Un jour Ils nous, réunirent et demandèrent à ceux qui voulaient des pommes de terre de lever la main droite. Tout le monde leva la main naturellement et alors un photographe nazi prit un instantané du geste et la photographie fut montrée en Allemagne pour prouver que les paysans normands avaient pris l'habitude du salut nazi.
"Au cinéma où passaient des films allemands doublés en français, il était interdit de manifester mais lorsqu'apparaissait la binette d'Hitler, tout le monde se mouchait avec bruit ce qui rendait les allemands furieux, mais que pouvaient-ils faire.
"Ce qui nous manquait surtout c'étaient des chaussures, des textiles, des articles de toilette et des conserves.
"Les Allemands faisaient mine d'acheter à bon prix ce dont ils avaient besoin mais ce n'était qu'une autre méthode de pillage car Ils payaient avec de la monnaie sans valeur. Les allemands avaient de très maigres rations et comme leurs supérieurs ne leur défendaient pas de faire appel aux ressources du pays Ils allaient réquisitionner des centaines de litres de lait et si le fermier refusait, ils allaient traire les vaches eux-mêmes. Dans les hôtels, ils louaient les meilleures chambres et c'était la France qui payait tout. Une voiture allemande ayant écrasé un gosse, les frais d'inhumation devinrent des frais d’occupation.
"Les personnes trouvées sur la rue après le couvre-feu de onze heures étaient envoyées au poste de police où les hommes ciraient les bottes des soldats tandis que les femmes raccommodaient les chemises.
"L'an dernier un avion allié fut abattu près de Bayeux. Ses occupants, tués sur le coup, furent enterrés non loin de là. Les habitants des alentours voulurent assister aux funérailles, mais les allemands arrêtèrent tous ceux qui se trouvaient là et obligèrent par la suite, les hommes à planter des pieux dans les environs en guise d'obstacles contre d'autres atterrissages possibles de l’aviation des Nations Unies."
M. Noël me dit aussi que dans la région on ne s'attendait pas du tout à ce que les Alliés fissent leurs premiers débarquements sur la côte normande en raison des rochers sous-marins de la côte du Calvados.
Le six juin, jour de l'invasion, il me conte, vers les quatre heures du matin, il contempla de sa fenêtre les bombardements aériens qui précédèrent les débarquements alliés. Les trois premiers soldats britanniques entrèrent à Saint-Gabriel à six heures du soir, le même jour.
Au cours de l'après-midi, toujours d'après M. Noël, les soldats allemands s'occupèrent fébrilement à préparer leur retraite.
En terminant, M Noël se fit l'écho de ses concitoyens en me disant combien ils étaient tous heureux que les Alliés fussent en France, et, aussi que par miracle ou presque, leur village eut été à peu près épargné par les bombardements alliés.