2018 : c'était le centenaire de la fin de la guerre de 14-18.
2019 : c'est le 75e anniversaire du débarquement de 1944.
Pour ce premier article de 2019, je vais réunir les deux faits à travers un article de Maurice Desjardins, correspondant de guerre des journaux de langue
française canadiens.
VILLIERS-LE-SEC,
en Normandie, le 7 Juillet 1944
L'infinie variété des véhicules de guerre qui
débarquent sur les plages normandes et passent avec fracas dans l'unique rue
de ce petit village demeure, après un mois, une source d'émerveillement pour
"les cent vieux Poilus" qui achèvent paisiblement leurs jours au
"foyer des Invalides et des anciens soldats".
On
les voit assis sur des bancs devant la grille de l'Immeuble et ouvrant des yeux plein d’admiration et de curiosité sur l’interminable caravane motorisée
se dirigeant vers les points de rassemblement en soulevant des nuages de
poussière. Ces anciens de "quatorze-dlx-huit" ont revu avec attendrissement
les Tommies et les Canadiens.
Les
pères de ces solides gaillards étaient peut-être leurs frères d’armes dans les
batailles de la Somme, de l'Argonne et de la Marne. "Quelle solide
jeunesse, quel superbe matériel !" disent-ils en culottant leurs pipes
tout en songeant à leur passé.
Avec
quelle émotion ces vétérans ont-ils dû assister, le six, aux scènes qui
suivirent nos débarquements. Le concierge, un grand vieillard tout droit qui
habite un petit "cagibi" près de la grille d’entrée a
"fait" Verdun et d'autres grandes batailles mais n’a jamais assisté à
un bombardement comparable à celui du 6 juin dernier. C’était une débâcle de
flammes et de fumée, dit-il. "De la
porte de ma bicoque j'ai assisté à tout le spectacle. C'était un roulement et
une lueur ininterrompus. Je n’ai jamais vu un barrage de cette violence”. Il
ajouta fièrement : "Vous savez. Je suis resté dehors tout le temps et Je
n'ai pas eu peur. D'ailleurs nous, les vieux, on n’a jamais peur".
Il
y a des "vieux poilus" de Paris, de Reims, de Lille, du Pays Basque
et du Midi. Le doyen parmi ces vieux, un Orléanais de 70 ans, en est à sa
troisième guerre.
"Il y a des choses qui frappent l'imagination
d'un bambin de sept ans et qu'il n'oublie jamais, me dit- il. Je me souviens
clairement des Uhlans à casques pointus faisant résonner leurs bottes sur les
pavés d'Orléans."
La vue de tant de machines
de guerre a rallumé la flamme belliqueuse dans plusieurs de ces vieux cœurs et
au moins deux d’entre eux ont tenté inutilement des démarches auprès des autorités
alliées afin de s'engager volontairement dans nos armées en se disant jeune et
plein de santé. L’un à cinquante ans et l'autre cinquante-quatre ans.
"Nous en avons assez
pour vivre dans un foyer à rien faire ; nous voulons participer aussi à la libération
de notre pays."
Un vieux chauve, à la moustache
de Clemenceau, s'approche en brandissant sa canne pour nous déclarer :
"Vous savez, mes gars, il était grandement temps que vous arriviez. Les boches
nous rendaient la vie de plus en plus misérable et ils faisaient main basse
sur les deux-tiers de nos vivres. Franchement nous en étions à nous demander
comment nous passerions l’hiver."
"Quand les boches
étaient ici", continu a-t-il, "nous nous estimions chanceux d'avoir
deux repas de viande par semaine mais maintenant que vous êtes ici nous en
avons presque tous les jours."
Il y a un cantonnement de
soldats britanniques tout près et les "vieux poilus" font très bon
ménage avec les Tommies qui les traitent avec beaucoup de respect et se
montrent généreux dans la distribution des cigarettes.
Mais parmi les "vieux
poilus" il n’y a pas de plus fier que Victor Lelong, un "vrai des
vrais" de la Marne qui reçut un éclat d’obus à l'épaule gauche durant le
court combat qui se déroula devant le foyer le jour de l'invasion.
Il se
trouve maintenant à avoir été blessé dans les deux guerres, ayant reçu une
balle dans l'épaule droite en 1918. Ses camarades ne font pas erreur lorsqu'ils
disent : "Ah ce Victor, il a bien gagné ces épaulettes".