Durant les avants de Noël on pendait
un Normand à Paris, à la Croix du
Tiroir, dans la rue Saint-Honoré.
Etant à l’échelle, prêt d'être jeté, le bourreau lui demanda s’il n’avait plus rien à dire ; il
dit qu’il priait l'assistance de lui chanter un Salve Régina. Le bourreau dit
tout haut : « Messieurs, ce pauvre patient vous prie de lui chanter un Salve
Régina. » Chacun ôte son chapeau, et se met à chanter le Salve.
Quand ce fut fait, il
lui demanda s'il n’avait plus rien à dire ; il dit qu'il voudrait bien parler à quelqu’un de son pays ; il lui demanda de quel pays il
était, il dit qu'il était de Creully.
Le bourreau, là-dessus, dit tout
haut : « Messieurs, s'il y a ici quelqu'un de Creully, qu’il lève la main ; ce
pauvre patient veut parler à lui. »
De fortune, il s’en rencontra un,
qui s'approchant de lui, le condamné lui dit : « Etes-vous de Creully, mon ami ? — Oui, dit-il
j'en suis. — Connaissez-vous bien, dit-il, Pierre un tel et Jacqueline une
telle ? » L'autre ayant dit que oui.
« Ah I Dieu I dit-il, c'est mon père
et ma mère, mon ami, ils seront bien affligés quand ils sauront le malheur qui m'est arrivé, car il n'y a jamais eu de reproche à notre race; et je suis si
malheureux que je suis le premier à les déshonorer ; mais je suis bien aise que
tu sois présent à ma mort ; quand tu les verras, tu pourras les
consoler en les assurant que, si je les déshonore d'un côté, je leur apporte
bien de l'honneur de l'autre ; tu pourras leur témoigner, mon ami, que je suis
mort comme un saint, et qu’avant de mourir, comme tu viens de voir, j’ai fait un miracle, car j’ai bien fait chanter des cocus en
hiver. » Sitôt que le peuple l’eût entendu, chacun commença à crier : « Pendez, pendez ! »
|
Plan de Paris de Truschet et Hoyau, publié au milieu du xvie siècle |
Le carrefour où se croisent les rues de l’Arbre Sec et Saint-Honoré (Ier) était autrefois un des plus fréquentés de Paris, le lieu où se déroulaient exécutions capitales et supplices (notamment l’essorillement réservée aux oreilles des serviteurs indélicats) jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Une roue de supplice y était installée ainsi qu’un gibet (l’arbre sec) et une croix (la croix de Tahoir, nom provenant du vieux français désignant un » tiroir » que l’on tirait lors de la vente de tissus dans les commerces de la place). La croix qui fut détruite à la Révolution était destinée aux suppliciés pour y faire leur dernière prière avant leur supplice.
Conte du sieur d'Ouville adapté par un creullois.Source : Association "Marais-Louvre"