Il n'y avait pas longtemps que la ville de Rouen tout entière s'était émue, au récit d'un fait qui s'était passé dans l'enceinte même de l'abbaye de Saint Étienne de Caen. Le sieur de Guerville y avait été tué, en 1618, par Jean de Sillans, frère de Don François de Sillans, un des religieux les plus turbulents du monastère. Jean de Sillans allant visiter Don Antoine avec deux de ses amis, La Groudière et Sébastien Le More, y rencontra les sieurs de Coulombières et de Guerville. Ces derniers avaient précédemment fait maltraiter par leurs laquais un gentilhomme de ses amis, le sieur de Montplaisir. Ce fut le sujet d'une querelle, par suite de laquelle les uns et les autres mirent l'épée à la main. Le sieur de Guerville succomba dans la lutte. Des poursuites furent dirigées contre Jean de Sillans, et les puissantes familles de Coulombières et de Guerville parvinrent à empêcher qu'il n'obtint du roi des lettres de grâce.
On recourut en sa faveur au « privilège de la fierté ». On sait, que de temps immémorial, il avait été établi que le Parlement de Rouen serait tenu de délivrer, chaque année, un prisonnier élu par le chapitre de la cathédrale, auquel cette élection vaudrait grâce complète et absolue. Le prisonnier soulevait, en public, sur ses épaules, la châsse de saint Romain; il aidait à la porter processionnellement, le jour de la fête de l'Ascension, depuis la vieille tour où elle était déposée, jusqu'à la cathédrale, et cette cérémonie lui servait de lettres d'absolution.
Le chapitre de Rouen avait avec beaucoup de peine et sur la sollicitation du duc de Rohan et de Monseigneur de Briroy , évêque de Coutances, accordé à Jean de Sillans, coupable d'un meurtre commis dans une abbaye, la faveur de jouir de ce privilège. Au moment où la cérémonie allait s'accomplir, Jean de Sillans apprit que le Parlement n'avait voulu consentir à le délivrer que pour un jour, et que les parents de Guerville et de Coulombières se proposaient de l'enlever, à main armée, au milieu de la foule, pour le ramener dans sa prison. Il prit sur-le-champ son parti. Apercevant du haut du perron de la vieille tour où il se préparait à lever la fierté, un vide au milieu de la foule rassemblée sur la place, il en descendit rapidement les degrés, et se jeta au milieu de ses amis, qui, l'épée à la main, protégèrent sa fuite. Des lettres-patentes du roi confirmèrent l'élection faite par le chapitre de la cathédrale de Rouen et, pour éviter de nouveaux conflits, le dispensèrent de remplir les formalités prescrites par les ordonnances.
Un acte capitulaire de l'abbaye nous apprend que, le 13 juin 1620, Don Antoine de La Croix, prêtre, sacristain et prieur de Saint Laurent de Septvans, avait été offensé et outragé de plusieurs coups, « à sang et à plaie » , dans son jardin, par Don Jean de Cairon et Don Guillaume de Boulouche, en la présence de Don François de Sillans et de plusieurs personnes séculières, et entr'autres, des sieurs des Granges, de Banneville, Tanneguy et de maître Jean-Baptiste Le Mesle, sieur de La Cotte, huissier collecteur des finances, en la Généralité de Caen.
Don Antoine de La Croix avait porté plainte devant le lieutenant-criminel de Caen , « au préjudice de l'autorité, correction et discipline ecclésiastique et monastique ». Le chapitre évoqua la cause à son tribunal et contraignit le plaignant à retirer la requête par lui présentée à la justice séculière. Les faits qu'il avait dénoncés furent constatés, après une enquête, à laquelle procédèrent Don Jacques de Chefval, et Don Mathieu de la Dangie; et le chapitre prononça, que Don Jean de Cairon, « pour les dits excès et outrages par lui faits et commis, le dit jour de dimanche dernier, avant le sermon ou prédication ordinaire de l'abbaye, en la personne de Don Antoine de La Croix, avait encouru les censures de droit portées par le canon : Si quis suadenle. Il était en conséquence excommunié; et, pour expiation de la dite faute, ainsi par lui commise, condamné à tenir prison fermée, par le temps et espace d'un mois, et à jeûner au pain et à l'eau, aux jours de mercredi et vendredi. »
Quant à Don Antoine de La Croix, le chapitre lui ordonna « de demander pardon à Dieu des jurements et des blasphèmes par lui proférés lors de ladite querelle, et il lui fut défendu de faire ni rendre à l'avenir telles plaintes criminelles, par devant le juge séculier, aux cas qui purement et simplement dépendaient de la discipline monastique, sur les peines au cas appartenantes.»
Don François de Sillans, qui n'avait figuré que comme témoin dans la scène dont il vient d'être question, et qui, en débarrassant Don de La Croix de ses deux assaillants, leur avait dit « que c'était trop de deux sur un », fut impliqué lui-même, quelques années après, dans une affaire bien plus grave, dont les circonstances sont consignées dans les actes capitulaires de l'abbaye. Deux femmes avaient été reçues dans le monastère par Don Marie, aumônier de l'abbaye, malgré les défenses si souvent réitérées. Au moment où elles étaient à dîner avec lui dans la maison qu'il occupait, Don François de Sillans et Jean de Cairon avaient escaladé le mur de son jardin, et, en jurant «mort Dieu! et sang Dieu!» s'étaient précipités dans ses appartements, devenus alors le théâtre de scènes dont il nous serait impossible de reproduire ici les détails. Ce que nous venons de faire connaître suffit pour compléter le tableau de cette triste période de notre histoire. Il prouve suffisamment jusqu'à quel point, en franchissant l'enceinte du cloître, pour se mêler à une société ardente et passionnée, les religieux en avaient contracté les habitudes violentes et les mœurs licencieuses.
Don François de Sillans vécut encore longtemps après ces événements. Nous trouvons, à la date du 5 janvier 1664, le testament dans lequel il témoigne un grand repentir pour ses fautes, à l'expiation desquelles il consacre une somme qu'il lègue à l'abbaye.
Les armes des de Sillans
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Le chapitre de Rouen avait avec beaucoup de peine et sur la sollicitation du duc de Rohan et de Monseigneur de Briroy , évêque de Coutances, accordé à Jean de Sillans, coupable d'un meurtre commis dans une abbaye, la faveur de jouir de ce privilège. Au moment où la cérémonie allait s'accomplir, Jean de Sillans apprit que le Parlement n'avait voulu consentir à le délivrer que pour un jour, et que les parents de Guerville et de Coulombières se proposaient de l'enlever, à main armée, au milieu de la foule, pour le ramener dans sa prison. Il prit sur-le-champ son parti. Apercevant du haut du perron de la vieille tour où il se préparait à lever la fierté, un vide au milieu de la foule rassemblée sur la place, il en descendit rapidement les degrés, et se jeta au milieu de ses amis, qui, l'épée à la main, protégèrent sa fuite. Des lettres-patentes du roi confirmèrent l'élection faite par le chapitre de la cathédrale de Rouen et, pour éviter de nouveaux conflits, le dispensèrent de remplir les formalités prescrites par les ordonnances.
Un acte capitulaire de l'abbaye nous apprend que, le 13 juin 1620, Don Antoine de La Croix, prêtre, sacristain et prieur de Saint Laurent de Septvans, avait été offensé et outragé de plusieurs coups, « à sang et à plaie » , dans son jardin, par Don Jean de Cairon et Don Guillaume de Boulouche, en la présence de Don François de Sillans et de plusieurs personnes séculières, et entr'autres, des sieurs des Granges, de Banneville, Tanneguy et de maître Jean-Baptiste Le Mesle, sieur de La Cotte, huissier collecteur des finances, en la Généralité de Caen.
Don Antoine de La Croix avait porté plainte devant le lieutenant-criminel de Caen , « au préjudice de l'autorité, correction et discipline ecclésiastique et monastique ». Le chapitre évoqua la cause à son tribunal et contraignit le plaignant à retirer la requête par lui présentée à la justice séculière. Les faits qu'il avait dénoncés furent constatés, après une enquête, à laquelle procédèrent Don Jacques de Chefval, et Don Mathieu de la Dangie; et le chapitre prononça, que Don Jean de Cairon, « pour les dits excès et outrages par lui faits et commis, le dit jour de dimanche dernier, avant le sermon ou prédication ordinaire de l'abbaye, en la personne de Don Antoine de La Croix, avait encouru les censures de droit portées par le canon : Si quis suadenle. Il était en conséquence excommunié; et, pour expiation de la dite faute, ainsi par lui commise, condamné à tenir prison fermée, par le temps et espace d'un mois, et à jeûner au pain et à l'eau, aux jours de mercredi et vendredi. »
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Don François de Sillans, qui n'avait figuré que comme témoin dans la scène dont il vient d'être question, et qui, en débarrassant Don de La Croix de ses deux assaillants, leur avait dit « que c'était trop de deux sur un », fut impliqué lui-même, quelques années après, dans une affaire bien plus grave, dont les circonstances sont consignées dans les actes capitulaires de l'abbaye. Deux femmes avaient été reçues dans le monastère par Don Marie, aumônier de l'abbaye, malgré les défenses si souvent réitérées. Au moment où elles étaient à dîner avec lui dans la maison qu'il occupait, Don François de Sillans et Jean de Cairon avaient escaladé le mur de son jardin, et, en jurant «mort Dieu! et sang Dieu!» s'étaient précipités dans ses appartements, devenus alors le théâtre de scènes dont il nous serait impossible de reproduire ici les détails. Ce que nous venons de faire connaître suffit pour compléter le tableau de cette triste période de notre histoire. Il prouve suffisamment jusqu'à quel point, en franchissant l'enceinte du cloître, pour se mêler à une société ardente et passionnée, les religieux en avaient contracté les habitudes violentes et les mœurs licencieuses.
Don François de Sillans vécut encore longtemps après ces événements. Nous trouvons, à la date du 5 janvier 1664, le testament dans lequel il témoigne un grand repentir pour ses fautes, à l'expiation desquelles il consacre une somme qu'il lègue à l'abbaye.