En 1900, un illustrateur Américain Joseph Pennel a croqué Creully (Creully sur Seulles).

Joseph Pennell, né le 4 juillet 1857 à Philadelphie et mort le 4 avril 1926 (à 68 ans) à Brooklyn, est un illustrateur, graveur lithographe et écrivain américain. Il est principalement connu pour ses lithographies de Londres et New York ainsi que ses ouvrages sur l'illustration et la lithographie. J’ai trouvé les deux dessins ci-dessous dans un ouvrage intitulé : Sur les routes et les chemins de Normandie.



La rue de Caen




Les moulins du district de Bayeux en 1794

 Les Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine conservent les documents
émanant des organes centraux de l’État français. Dans le cadre de mes recherches, je remonte le temps en me rendant en région parisienne pour y découvrir des trésors d’archives laissés par nos ancêtres. Aujourd’hui, je vous présente un document exceptionnel : un recueil concernant les moulins du district de Bayeux, datant de 1794.

Arrêté les administrateurs du directoire du district de Bayeux le 22 germinal l’an 2 (11 avril 1794) de la République Françaises et indivisible.


Bal sur Drôme (Balleroy)               

Un moulin à trois tournants, sur la Drôme ; Il peut faire 50 quintaux de farine dans 24 heures. La sècheresse arrête une partie de ces tournants.

Cahagnolles              

Trois moulins situés sur un petit cours d’eau ; et pour cette raison très sujet au repos forcé.

Castillon                               

Un moulin à trois tournants à un quart de lieue de la grande route. Il peut faire 40 quintaux de farine par jour. Il est sujet à manquer d’eau.

La Bazoque                          

Deux moulins à eau à chacun un tournant ; dont un en assez mauvais état peut moudre 13 quintaux de grains par jour quand les eaux sont hautes. La sécheresse l’arrête à moitié du jour pendant deux mois. Le deuxième, à peu près dans le même état et du même produit, manque presque entièrement d’eau pendant trois mois.

Agy                                        

Un moulin à eau à deux tournants. Il peut moudre 20 quintaux par jour. Il est sujet à être arrêté par les hautes et basses eaux.

Bernières                              

Un moulin à un tournant qui, par défaut d’eaux, est la moitié du temps sans moudre.

Condé sur Seulles     

Un moulin à eau à deux tournants sur la Seulles ; en bon état. Son repos, par année est de 8 à 10 jours.


Ellon                                     

Un moulin à deux tournants, à eaux. Continuellement occupé.

Nonant                                  

Trois moulins. Deux à grains et l’autre à fouler les étoffes. Ceux à grains, dont un à deux tournants, sont situés sur la Seulles. Le foulon, à un tournant, est sur un ruisseau.

Le Verney                             

Un moulin à eau. Il peut moudre par jour 18 quintaux dans les eaux hautes et 8 dans les basses.

Subles                                   

Un moulin à un quart de lieue de la grande route et en état de faire de bonne farine.

Trungy                                  

Un moulin à eau à deux tournants sujet à manquer d’eau pendant trois mois. A un quart de lieue de la grande route.

La Cambe                            

Deux moulins. L’un à eau, l’autre à vent.

Asnières                                

Un moulin à eau, il peut moudre deux quintaux de grain par jour. Il est en mauvais état.

Briqueville                            

Trois moulins, dont deux pour moudre en dessus, le troisième en dessous. Ils sont en repos forcé tous les étés.

Englesqueville                      

Un moulin au repos forcé tous les étés.

La représentation des moulins sur la carte de Cassini du XVIIIe siècle

Grandcamp              

Deux moulins à eaux, qui à raison du flux de la mer, ne peuvent moudre qu douze heures par jour, 30 quintaux de farine.

Létanville                              

Un moulin à vent appartenant à la nation et provenant du ci-devant Évêché de Bayeux, abandonné depuis la Révolution.

Longueville                           

Un moulin pour l’usage d’une seule maison, à laquelle à peine il peut suffire.

Commes                                

Trois moulins.

Guéron                                 

Deux moulins à chacun deux tournants qui meulent en dessous.

1838 - Le moulin de Guéron est à louer.

Marigny                                

Un moulin à eau sur l’Aure, à trois quarts de lieue de la grande route.

Monceaux                             

Un moulin à eau à deux tournants sur l’Aure, à un demi quart de lieue de la grande route. Il peut moudre 20 quintaux de grains dans 24 heures. Il est en bon état.

Saint Loup                           

Un moulin à eau à deux tournants. Il meut 25 quintaux de farine dans 24 heures. Les réparations et les dérivations d’eaux s’arrêtent 40 jours dans l’année.

Sully                                      

Un moulin à eau proche de la grande route, à deux tournants. Il est sujet à être arrêté au tiers de l’année par les hauteurs et chasseurs d’eaux.

Vaucelles                               

Un moulin à eau à deux tournants. Il meut 20 quintaux par jour. Il souffre peu de retard par la sécheresse.

Vaux                                      

Quatre moulins dont trois à deux tournants. Ils sont situés sur l’Aure.

Barbeville                             

Trois moulins dont deux à deux tournants, situés sur la Drôme. Le troisième à un tournant situé sur un ruisseau. Ils sont situés entre deux grandes routes.

Blay                                       

Un moulin à eau à deux tournants, à eau, à trois quarts de lieue des grandes routes.

Crouay                                 

Deux petits moulins à trois tournants pour tous les deux. Ils font de la farine de bonne qualité, mais manquant d’eau l’été.

Maisons                                

Deux moulins.

Mosles                                   

 Un moulin qui meut en dessus, à 300 toises de la grande route.

Russy                         

Un moulin à eau à une demi-lieue de la grande route, faisant très peu de travail.

Ranchy                                 

Un moulin à deux tournants et à eau, à un quart de lieue de la grande route.

Ste Honorine des pertes      

Deux moulins qui font chacun deux à trois quintaux de farine par jour, par le moyen d’une source qui foule par-dessus la roue.

Trévières                               

Trois moulins à eau dont un à deux tournants, ils manquent d’eau dans le temps de sécheresse, au point de ne pouvoir moudre trois quintaux de grains par jour.

Agnerville                             

Trois moulins à eau situer à une demi-lieue de la grande route. Ils meulent par jour environ 20 quintaux de farine. Mais ils manquent d’eau dans le temps de sécheresse.

Bernesq                                

Deux moulins à eaux qui ne meulent que dans les grandes eaux. Ils sont proches de la route de Littry à Isigny.

Colombières             

Un moulin à eau à deux tournants

Engranville                           

Un moulin à eau à un tournant, à un demi-lieue de la grande route, faisant 11 à 12 quintaux de farine par jour en grande eau, mais très sujet à un manque dans l’été.

Formigny                              

Un petit moulin à eau qui peut moudre 17 quintaux de grains par jour. Il est en bon état mais sujet à la sécheresse.

Louvières                              

Trois moulins dont deux à eau de très peu d’importance. Ils ne meulent que chacun deux quintaux de froment dans 24 heures. Le troisième est à vent, en mauvais état, et ne sert que dans le cas d’un grand besoin.

Saon                                      

Un moulin à eau faisant 15 quintaux de belle farine dans 24 heures, dans les grandes eaux. Mais étant situé sur une petite rivière, il est sujet à la sécheresse.

Saonnet                                 

Un moulin à deux tournants, dont un en mauvais état. Il appartient à la nation.

Saint Laurent                       

Trois moulins dont un meut par eau de source 2 quintaux de grains dans 24 heures. Les deux autres qui ne peuvent marcher que par l’eau de pluie en meulent bien moins.

Surain                       

Un moulin à eau appartenant à la nation, situé sur la grande route. Il n’a qu’un tournant qui peut moudre 12 quintaux en 24 heures.

Colleville                               

Trois moulins situés sur un ruisseau au bord de la mer. Ils peuvent moudre l’hiver et l’été chacun 3 quintaux de farine.


Le château de Brécy dans un carnet de dessins conservé à INHA

 François de Marliave, né le 10 octobre 1874 à Toulon et mort le 11 janvier 1953 à Draguignan, était un peintre voyageur et illustrateur français d'Aix-en-Provence qui fit un voyage dans notre région dont à Brécy (Creully sur Seulles).
Lors de cette visite, il réalisa sur un carnet des dessins du château de Brécy. Ce dernier est conservé par l'Institut National de l'Histoire de l'Art (INHA).
En voici quelques uns.


Source: INHA Paris

Creully sur Seulles - La salle de spectacles de l'ancienne maison de retraite de nos soldats ( Villiers le Sec )

 Je me souviens avoir été au cinéma avec mes parents dans cette salle.

Les bâtiments oubliés de nos jours...
Vers 1930
L'état actuel.


En jaune son emplacement ( plan de 1910 - Source: Archives Départementales du 14).




1853 - Les habitants d'Audrieu et les bohémiens.

 

Dans les colonnes austères de l’Ordre et la Liberté de Caen de juillet 1853, une histoire se chuchotait, aussi sombre que les sous-bois où elle avait pris racine. 


Une tribu de bohémiens et bohémiennes, hommes aux regards fuyants, femmes aux robes déchirées et enfants aux pieds nus, s’était installée en maître dans le bois d’Audrieu, sur les terres même de M. le marquis de Fontette. Là, à l’abri des regards indiscrets, ils avaient érigé une cabane de fortune, bâtie des dépouilles des chênes centenaires, comme un défi lancé à l’ordre établi. Sous ce toit de branchages et de hardes, ils vivaient en une promiscuité joyeuse et sauvage, telle une cour des miracles échappée d’un vieux roman. Les volailles des fermes voisines, poules dodues, canards gras, oies aux plumes immaculées, s’évanouissaient dans la nuit, comme emportées par quelque sortilège. En vérité, ces nomades affamés ne reculaient devant rien pour remplir leurs marmites, et les fermiers du voisinage maudissaient chaque matin les cages vides et les traces de pas furtifs dans la boue.

Mais leur insouciance devait trouver une fin. Le commissaire central, las de ces larcins répétés, ordonna une rafle. La gendarmerie de Tilly, sur un signal, fondit sur le campement comme la foudre sur un champ ouvert. En un éclair, les Gitans furent arrachés à leur repos précaire, menottés, traînés vers les fourgons qui les mèneraient devant la justice. Leurs rires, leurs chants, leurs feux de bois s’éteignirent dans un tourbillon de poussière et de cris.

Pourtant, la menace ne s’arrêtait pas là. Tout l’arrondissement de Bayeux semblait hanté par ces silhouettes errantes. De village en village, ils écoulaient des babioles sans valeur, mais colportaient avec eux des promesses bien plus dangereuses. Les femmes, surtout, déploient leurs cartes usées sur les tables des auberges ou aux coins des places. D’une voix rauque, elles prédisaient l’avenir aux jeunes filles rêveuses et aux vieilles filles aigries, mariant les célibataires d’un geste de la main, tissant des destins en échange de quelques pièces. Leurs mots, mi-sorcellerie, mi-charlatanerie, ensorcelaient les esprits simples, exploitant sans pitié la crédulité d’un peuple avide de miracles.

Ainsi allait la vie, entre l’ombre des forêts et la lumière crue des tribunaux, où ces âmes libres allaient bientôt devoir répondre de leurs actes.


Au XIXe siècle, le terme « bohémien » désignait principalement deux groupes distincts, souvent confondus ou associés dans l'imaginaire collectif :

1. Les Roms (ou Tsiganes)

·  À l'origine, le mot « bohémien » vient de « Bohême », une région historique d'Europe centrale (actuelle République tchèque). Au XVe siècle, des groupes de Roms arrivèrent en Europe de l'Ouest en prétendant venir de Bohême, d'où le nom qui leur fut attribué.

·   Au XIXe siècle, les « bohémiens » étaient donc souvent les Roms, Sinti, Manouches, Gitans, etc., des populations nomades ou semi-nomades, marginalisées et stigmatisées.

·    Ils étaient associés à des métiers itinérants (forains, musiciens, marchands ambulants) et subissaient des préjugés (vol, sorcellerie, etc.).

2. Les artistes et intellectuels marginaux

·     À partir du XIXe siècle, le terme a aussi été utilisé pour décrire un mode de vie non-conformiste, notamment dans les milieux artistiques et littéraires.

·      Les « bohèmes » (ou « bohémiens » dans ce sens) étaient des écrivains, poètes, peintres ou musiciens vivant en marge des conventions bourgeoises, souvent dans la pauvreté, mais avec une grande liberté créative.

Creully (Creully sur Seulles) - 1929 - Fête d'Accordailles.

 Le mariage est l’union de deux individus, mais c’est aussi celle de deux familles. L’accord peut se faire entre les pères (ou tuteurs) ou entre le futur gendre et son futur beau-père. La demande ne se fait pas directement, le père montre son intérêt par des gestes rituels et symboliques, en relation avec le foyer, le ménage ou la nourriture. Si le père ajoute un bûche, tisonne le feu, c’est une invite à continuer contrairement à celui qui recouvre de cendres les tisons ou place un ustensile à l’envers. Ces rituels sauvegardent l’honneur en permettant au visiteur de dévier la conversation sur d’autres sujets. Si l’accord se fait, les futurs échangent des cadeaux, un anneau, et se fréquentent jusqu’à la concrétisation de leur mariage.

Les ombres de Meuvaines

La nuit du 9 février 1796 s’annonçait paisible. Jean Robert, connu sous le sobriquet de "Violon", achevait sa journée de travail de batteur en grange et s’apprêtait à sombrer dans le repos bien mérité. Mais à peine eut-il soufflé sa bougie qu’un fracas sourd retentit à sa porte. Des hommes armés l’interpellaient avec véhémence, l’accusant d’avoir mis la main sur des biens qui jadis appartenaient à un marquis. Leur requête était sans appel : qu’il leur remette tout ce qu’il possédait.


Son cœur battait la chamade tandis qu’il serrait ses économies dans sa main. Un instant d’inattention de ses agresseurs lui offrit une échappatoire inespérée. D’un geste vif, il ouvrit un contrevent, se précipita vers la fenêtre et plongea dans l’obscurité glacée du marais. Derrière lui, les brigands vociférèrent, mais leur colère fut vaine. Ils ne purent qu’amasser un maigre butin de 600 livres en papier-monnaie avant de s’élancer vers leur prochaine cible.

La demeure de Louis Lebreton leur ouvrit ses bras silencieux. Son absence ne les dissuada pas : c’est à sa femme qu’ils s’en prirent. Ils éventrèrent l’armoire, arrachèrent les draps du lit, et dans une pulsion destructrice, consumèrent plusieurs documents au feu, déclarant fièrement : « Ce sont ceux d’un patriote et des titres de biens nationaux ! » Leur œuvre accomplie, ils s’en allèrent, lestés de 36 francs en numéraire et 470 livres en papier-monnaie.


À quelques pas de là, la demeure de Jean-François Lebreton s’éveillait dans la frayeur. Alerté par le tumulte chez son frère, il prit la fuite précipitée, son enfant agrippé à ses épaules, sa femme courant derrière lui, à peine vêtue de sa chemise et de son jupon.

Mais les brigands, infatigables, retrouvèrent bientôt Louis Lebreton chez le citoyen Lecourt où il était attablé accompagné de deux camarades. Avec une brutalité implacable, ils ordonnèrent à Lebreton d’ouvrir sa porte en criant : « Ouvre ta porte, sapeur en avant ! »

Sous la menace, Jean-François, armé d’un manche de rabot, cria à ses compagnons : « Garçons, suivez-moi, tombons sur ces gueux-là ».

Un premier tir de feu dispersa les assaillants, mais Jean-François, mû par un instinct de survie, se jeta sur ses agresseurs. Un nouveau coup de feu fusa. La balle l’effleura et alla se perdre dans une haie. Cette fois, il sut que la fuite était sa seule chance et rejoignit sa belle-sœur, réfugiée chez son frère.

Le lendemain, l’écho du pillage laissait derrière lui des traces insolentes : des draps abandonnés dans un escalier, du linge éparpillé dans un fossé, des vêtements souillés dans une mare boueuse où les brigands s’étaient embourbés. L’enquête, patiente et implacable, dévoila peu à peu les visages cachés sous les masques : Julien Lamarlière fut identifié parmi ces ombres nocturnes.

Et ainsi, la terreur continua de rôder. Le 14 août, une autre nuit se vit déchirée par l’arrivée de brigands masqués. Informés que Jean-Jacques Jourdain venait de vendre du foin, ils envahirent sa demeure à l’aube. L’éperonnière d’une charrette fit voler en éclats la porte, et ils s’engouffrèrent dans la maison où dormaient quatre âmes paisibles.

La panique gagna Jourdain, qui se tapit derrière une armoire. Mais sa femme, elle, n’eut pas cette chance. Les assaillants la traînèrent par les cheveux, exigeant une somme d’argent qu’elle n’avait pas. Agenouillée sous la menace d’une exécution, elle tentait vainement de se défendre.

C’est alors que sa belle-mère, réveillée par les cris, apparut. À sa vue, les chouans délaissèrent leur première proie et s’attaquèrent aux parents âgés. Le père Jourdain fut arraché de son lit, traîné dehors jusqu’au ruisseau, là où la lame des sabres brillait sous la pâleur de la lune. Son supplication leur arracha enfin une once de clémence. Pour sauver sa vie, il se résigna à leur offrir tout ce qu’il avait : 300 francs extirpés d’un coffre.

Mais le butin ne suffisait pas. Ils exhumèrent des documents et des titres de propriété, méprisant les sanglots du vieillard, et les brûlèrent sous ses yeux impuissants.

Ainsi s’écrivait, dans la cendre et l’effroi, l’histoire de ces nuits de pillage et de révolte.

Le dindon du cabaretier des environs de Bayeux

 

            Dans les doux environs de Bayeux, où la Mi-Carême se préparait à éclore telle une fleur délicate au cœur du printemps normand, un cabaretier, homme au rire franc et au ventre généreux qui tremblait à chaque éclat de joie, avait fait
l'acquisition d'un dindon magnifique. Ce volatile, d'une prestance royale, arborait un plumage si lustré qu'il semblait tissé de fils de soie. En le contemplant, le cabaretier rêvait déjà des festins qu'il inspirerait, des coupes levées en son honneur, et des visages émerveillés et réjouis autour de ses tables.

Afin d'attirer les villageois vers son auberge fleurie, il conçut une idée qu'il jugea lumineuse : promener le dindon dans les rues du village, tel un prince en procession, paré d'une pancarte vantant ses mérites. Avec sa main rustique, il inscrivit, non sans quelques fautes d'orthographe qui ajoutaient un charme pitoyable au message :

Mais alors qu'il s'apprêtait à coller l'avis sur la noble créature, le garde-champêtre de la commune entra dans l'auberge, ses bottes crottées laissant des traces de boue sur le sol, sa moustache droite et sa voix grave comme un tambour d'appel. Le cabaretier, honoré par cette visite inattendue, posa son affiche fraîchement encollée sur une chaise et servit deux verres de cidre doré pour trinquer à la santé de la République.

On parla des cultures qui pousseraient bientôt, des jeunes filles à marier, et des rumeurs qui circulaient sur la grand-route. Puis, le garde-champêtre, repu de conversation et de boisson, repartit fièrement, le dos droit et le pas assuré.

Mais soudain, comme un frisson farceur dans l'air printanier du village, une étrange agitation se propagea. Des rires, d'abord étouffés, commencèrent à s'échapper des ruelles. Les enfants gloussaient derrière les barrières de bois, les femmes cachaient leur bouche dans leur tablier pour étouffer leurs éclats de rire, et les hommes toussaient discrètement pour ne pas laisser échapper leur hilarité.

Le garde-champêtre, étonné par cette gaieté soudaine, fit halte chez l'instituteur, homme lettré et sérieux, toujours penché sur des livres empilés. Il entra, salua avec respect, mais à peine s'était-il tourné pour refermer la porte qu'un rire insolent éclata, cristallin et incontrôlable, envahissant la pièce de sa mélodie joyeuse.

Alors il comprit.

L'affiche. La colle. La chaise.

La sentence comique était scellée : la pancarte vantant les mérites du dindon avait trouvé refuge sur la partie la plus exposée, ou peut-être la plus intime, de son uniforme. Et partout où il passait, il arborait fièrement, sans le savoir, ce message publicitaire.

Rougissant jusqu'aux oreilles, il se retourna vers l'instituteur, qui, derrière ses lunettes cerclées de métal, observait la scène avec un amusement manifeste.

— Comment ? Personne ne m’a arraché cela ?  S’exclama-t-il, les joues empourprées par l'embarras.

Et l'instituteur, avec un calme ironique et un sourire mal contenu, répondit d'une voix teintée d'une malice contenue :

— Non, certes. L’affiche défend de toucher l’animal.